Par Emmanuelle Chalayer, Galerie Alain Le Gaillard & Associés
Emmanuelle Chalayer. Quelle est la démarche, est-ce qu’il y a une thématique, un axe pour cette exposition?
Eric Pougeau. Il y a d’une certaine manière la morale. Pour moi, la morale est par extension le début du mal. Dès l’instant où il y a une morale, il y a du mal. Toute cette correspondance que j’ai réalisée, des enfants qui reçoivent des lettres de Papa Maman, c’est un travail qui au départ parlait de cette faculté qu’on a tous autant qu’on est, à digérer la violence. L’imagerie dans les médias, à la télé, on regarde de la violence, on regarde de la mort, et tout de suite après, on continue à vivre. On a une propension à digérer la violence qui est absolument incroyable. Il y a aussi la notion d’impossible…
C’est à dire ?
Par exemple la série des petits mots, c’est une correspondance impossible, ou quasiment impossible. Ou encore la Vierge avec une queue, qui en l’occurrence est un symbole d’une espèce de bien sur la terre qui est rongé de l’arrière par le mal, c’est aussi une figure de l’impossible, et il va y avoir un caisson lumineux qui va s’appeler « L’hôpital Marquis de Sade », c’est un hôpital impossible, jamais on ne verra un hôpital qui s’appellera comme ça. Il y aura également une corde à sauter, la corde sera en fait du fil barbelé, et c’est pareil, enfin voilà , il y a cette notion d’impossible.
Ta première idée de titre pour cette exposition était « Oh the guilt », la culpabilité est-elle également un axe de réflexion ?
Oui…c’est davantage ma propre culpabilité plutôt que celle des autres, je n’essaie pas par mon travail de faire passer un message, j’ai cette idée que l’art est quelque chose de complètement vain, qu’il ne changera rien du tout. Pour moi, c’est quasiment fait pour finir à la cave, c’est exposé là , mais les trois quarts du temps, c’est dans les réserves.
Cette culpabilité, c’est par rapport à l’art ?
Disons que c’est par rapport à la définition de l’artiste. l’artiste, c’est le mec qui est coupable, comme tout le monde, disons qu’on est tous coupables d’accepter, et l’artiste dans son travail peut se permettre de ne rien accepter, donc à ce moment là il parle de la culpabilité, mais au fond comme l’art est vain et que ça ne reste que de l’art, finalement l’artiste est aussi coupable que les autres. Mais la culpabilité vient aussi du fait de participer à un système qui fonctionne sur la violence. Il y a par exemple une phrase de quelqu’un que j’aime bien qui s’appelle William Blake, et qui dit : « On a créé avec les pierres de la religion le bordel, et avec les briques de la loi , on a créé les prisons. » En fait, on est dans un système qui fonctionne sur la violence et qui montre de l’excès au travers du médium de la télé, etc. Et en même temps ce système instaure des lois, il titille le consommateur avec la violence et donne une seule issue, la consommation, alors que dans le cadre de la loi la violence nous est interdite dans la société… Je pense que cette interdiction sociale devient possible dans l’intime. Quelque part l’intime, c’est là que l’homme se déchaîne.
Il y a quand même un certain nombre de travaux qui font référence à l’enfance, aux liens familiaux parents/enfants, y’a t il une dénonciation d’un mode d’éducation, ou de l’adulte en devenir ?
Non, mon travail s’oriente davantage du côté des parents qui ont des façons de faire les choses sans se rendre compte des conséquences que ça peut avoir. Il y a l’idée de possession, de faire déborder son monde d’adulte sur celui des enfants, jusqu’à ce que ça devienne une névrose chez l’enfant qui devient adulte. C’est pour cette raison que finalement la correspondance entre parents et enfants, elle est de ce côté là , mais elle aurait pu être de l’autre côté, c’est pourquoi il y a le travail « Attention enfant méchant », ou que les conjugaisons commencent par « je torture » ou « je me suicide », il y a une espèce de, comment dire, pas un crescendo, mais un enchaînement de choses dans la violence, dans une espèce de débilité de la violence.
La camisole de force est-elle une métaphore de l’esprit que l’on s’efforce de faire entrer dans un moule, que l’on contraint à un mode de pensée ?
Je n’y avait pas vraiment pensé mais c’est juste. La camisole de force, c’est l’idée de possessivité, de main mise sur l’enfant, de choses dans l’intime, encore une fois c’est l’indice de débordements, pas forcement de la violence, mais de débordements, mais c’est ma vision personnelle, ça vient de ce que je vois dans mon entourage, etc., de petites choses, de toutes petites choses, qui entraînent des débordements et m’ont poussé à faire cette camisole. La camisole, c’est un truc qui me paraît bizarre, mais c’est aussi parce que j’ai une expérience en tant qu’enfant, particulière…
J’ai lu le terme de « ready-made » dans un article pour définir tes travaux, quelle est la démarche par rapport au procédé, à l’élaboration de l’œuvre ? comment ça prend forme ?
C’est vraiment du concentré de pensée dans un objet. Un objet matérialise une pensée. C’est une pensée réfléchie qui essaie d’aller au plus simple dans le but. Et puis après, ce que je fais avec l’écriture, c’est vraiment pour revenir à quelque chose d’extrêmement, pas au plus simple, mais disons plus basique. J’ai pas de pratique, je sais pas peindre, j’utilise des pièces que je n’ai pas fabriquées. J’utilise l’écriture pour provoquer des images, faire naître des images impossibles. L’objet, c’est la matérialisation d’une pensée.
Est ce que tu cherches aussi à exprimer à travers tes travaux des choses que les gens vont penser tout bas mais qu’ils ne diront jamais par bienséance,… ?
Attention je ne dénonce pas. Moi je ne cherche pas à dénoncer, je fais mon travail, je pense que je suis un mec tout à fait normal, et dans mon travail, c’est vraiment de l’ordre du personnel, très personnel, si ça dénonce des choses, c’est parce que je suis quelqu’un de très banal. C’est vrai que le travail là , des mots, c’est parti sur cette idée d’une digestion des images, mais bon après…c’est vrai que j’ai vachement galéré pour écrire ces mots, etc., et après je me suis rendu compte d’une notion qui était la notion de l’excès dans la cellule familiale… La série des mots est de l’ordre de l’irrationnel, la vie sociale répond à des normes rationnelles, mais dès qu’on est dans l’intime, l’irrationnel devient présent.
En fait, après, les gens se sentent concernés ou non par ce qu’ils voient…
Exactement, y’a pas de pédagogie, c’est une question de sensibilité…