A l’heure où la campagne s’éveille, les sous-bois s’éclairent par endroits d’une petite lumière — d’une petite lumière blême. Les branches frêles des arbres rampants s’étendent alors vers le ciel comme des racines privées de sol. Tout est à l’envers et sans dessus dessous. Pour l’oeil qui les regarde, les repères se brouillent et disparaissent : il n’y a plus de gauche ni de droite, ni de haut ni de bas — mais une seule et même surface où tous les détails s’égalisent.
Dans cette mise en retrait de l’espace quotidien, seule l’idée du temps persiste. Mais ce temps n’est plus celui de l’horloge, ni même celui du mouvement : c’est le temps mis à nu de l’ennui — ce temps aphasique qui seul rend au monde la plénitude de son être. «Nous sommes les otages d’un monde muet», disait Françis Ponge. Faisant écho à cette parole du poète, les photos d’Eric Poitevin nous rappellent elles aussi cette propriété organique du silence: il contient plus que ce que le discours ne pourra jamais en dire.
Ainsi se tient devant nous l’énigme ouverte d’un portrait de vigneron; la peau ridée, et le regard rentré en dedans, ce n’est pas nous qui le voyons, mais lui qui nous observe depuis les replis cachés de sa pure apparence. Pour le voir sans l’effacer, nous n’avons d’autre choix que de nous laisser happer par son mystère — par son silence envoûtant.
Mais quelle découverte terrible nous attend au bout de ce chemin «silanxieux»… En allant à la rencontre d’un pur monde d’objets — d’un monde muet — ce n’est pas la vie que nous trouvons mais le masque mortuaire de sa disparition. Posés sur des socles blancs, à la manière des statues antiques, des cadavres de biches et de cerfs s’imposent à nous dans leur dernier silence.
Loin de l’image fugitive et gorgée de rêve que ces bêtes laissent parfois dans la tête du promeneur, seules quelques traînées de sang coulant le long de leur triste promontoire nous forcent un instant à nous rappeler leur vie passée. Bien sûr, ce n’est pas l’image qui les assassine — mais cette fois peut-être, plutôt que le silence, ces images réclament de nous que nous poussions un cri!
Eric Poitevin
— Sans titre,2002. Photo. 193 x 236 cm
— Sans titre, 2007. Photo. 115 x 91 cm
— Sans titre, 2000. Photo. 175 x 220 cm
— Sans titre. Photo. 175 x 220 cm
— Sans titre, 1989. Photo. Triptyque. 92,5 x 90,5 cm
— Sans titre, 2007. Photo. 235,7 x 185,5 cm
— Sans titre, 2006. Photo. 228 x 180 cm
— Sans titre, 2006. Photo. 228 x 180 cm
— Sans titre, 2006. Photo. 228 x 180 cm
— Sans titre, 1995. Photo. 193 x 236 cm
— Sans titre, 1995. Photo. 193 x 236 cm