Pour cette nouvelle exposition du photographe Éric Poitevin, la galerie Nelson-Freeman présente trente-cinq œuvres récentes.
Deux séries sont proposées au rez-de-chaussée. Un des ensembles est composé de photographies de corps, l’autre de crânes humains. Ces séries se distinguent tant par leur thème que par leurs compositions, mais ce sont paradoxalement ces différences qui donnent à l’accrochage une cohérence particulière. Elles sont accrochées les unes au-dessus des autres, les unes à côté des autres, sans être regroupées par genre.
Face à l’entrée, un très grand tirage C-print mat de plus de 1,50m de haut fait partie de la série des corps. Cette photographie s’intitule Sans titre comme toujours chez Éric Poitevin. Il s’agit du dos d’une femme nue dans une posture relâchée, une femme plantureuse voire obèse. L’image est cadrée du haut des cuisses jusqu’aux épaules et est en couleur. Les teintes du corps sont légèrement chaudes, le fond est un gris très pâle et froid. Le dos est voûté, les bourrelets s’imposent, la peau est grasse, abîmée, marquée. Même le flou léger de cette image n’atténue pas ces imperfections. Et pourtant ce ne sont pas les imperfections que l’artiste donne à voir, c’est au contraire la perfection d’une matière vivante. Éric Poitevin est un photographe qui aime l’organique mort ou vivant.
Les varices, les poils, les grains de beauté, boutons et autres rougeurs sont exhibés dans tout cet ensemble. On y voit des jambes, une femme allongée de dos le corps tordu, des femmes parfois vêtues d’un pantalon, d’un T-shirt ou d’une robe, des portraits d’homme aussi et même d’un jeune adolescent… Les vues sont aussi bien de face que de dos selon les besoins de l’artiste. Et à chaque fois la peau est marquée visiblement. La précision des détails est bluffante, la netteté de l’image donne ainsi une idée très précise de la texture.
Les modèles, quand leur regard est visible, fixent le regardeur mais leur visage est sans expression arborant la moue naturelle d’une mâchoire décontractée.
L’ambition de l’artiste n’est pas de tirer le portrait de ses modèles mais plutôt de les révéler. La peau est ici une abstraction, un motif à explorer comme une carte géographique. Sur ces corps se dessine un paysage prenant pour reliefs les plis ou les rides, et pour motifs, les varices et autres tâches cutanées.
Parfois les plans sont larges et même en plain-pied, mais le plus souvent ils sont serrés pour donner de l’importance à la matière, accentuer l’abstraction. Ce choix est d’ailleurs assez fréquent dans les photographies de chairs, c’est également le principe utilisé par John Coplans sans oublier le travail de Robert Davies.
Puis il y a les crânes. Ils sont toujours cadrés très large, ce qui met les fonds en valeur. Ces arrières plans évoquent le Carré blanc sur fond blanc de Malevitch (1918). Le socle blanc, le mur blanc et le sol blanc engendrent des démarcations allant du gris clair à très clair.
Un découpage géométrique simple apparaît en filigrane. Ces zones pâles dessinent des axes horizontaux ou verticaux accentuant la composition de l’image. Ce sont parfois aussi comme des lignes convergents vers l’élément photographié.
Les crânes sont généralement disposés au centre de l’image. Ils sont de profil, de face ou de trois-quarts. Une des Å“uvres en montre trois côte à côte, tous de face. Cette série valorise la gamme des gris froids et bleutés autant pour les objets que pour l’arrière-plan mais il reste quelques zones chaudes très ciblées.
Encore une fois, la texture devient presque palpable. Les fissures, l’usure, les creux sont particulièrement marqués. Après avoir étudié la chair vivante, c’est la mort qu’Éric Poitevin exploite, mais s’il s’y intéresse c’est pour nourrir sa recherche sur la matière, la lumière, la teinte.
Enfin quatre Å“uvres éparpillées figurent comme entre parenthèses dans l’accrochage. C’est pourtant bien le même travail que précédemment, mais sur des objets différents. Il y a la photographie d’un chardon en fin de vie, celle d’un congre, celle d’un agneau noir en mouvement et plus loin la vue d’un coin de pièce qu’on suppose être familière à l’artiste. Cette dernière montre deux murs blancs impeccables et un sol également blanc mais fissuré et dont la matière fait écho fortement à celle des crânes et celle des chairs humaines, le temps ayant fait son Å“uvre.
A l’étage, l’ambiance est totalement différente. Cinq très grandes photographies de sous-bois au printemps sont disposées sur le mur de gauche. A chaque fois, un chemin central, plus ou moins visible, partage la forêt en deux, laissant percevoir un bout de ciel au fond, comme un passage vers le calme à travers une nature incontrôlée. Les couleurs sont dans la gamme des verts et marrons. Cette série introduit l’idée du livre ouvert — d’ailleurs Éric Poitevin présente souvent des images scindées en deux.
C’est ce principe qu’il utilise mais différemment sur le mur de droite. Il y a deux images en noir et blanc de branches d’arbre recouvertes de neige. L’artiste les a transformées en diptyques en coupant ces images en deux, ce qui donne finalement quatre photographies. Les arbres paraissent torturés, les branches deviennent des serpents, les limites semblent indéfinissables. La prise de vue assez proche rend encore plus ces images abstraites.
La notion de temporalité est très présente dans cette exposition. Elle y est aussi bien un marqueur de traces que choix du moment à savoir saisir. Mais Éric Poitevin donne surtout ici une leçon d’abstraction par le réalisme. Reprenant les formes classiques de l’histoire de l’art, portrait, nature morte et paysage, il se les réapproprie en utilisant les modèles pour ce qu’ils sont, de la matière. Il ne triche pas car ce qu’il veut mettre en valeur c’est l’art de la photographie, la photographie comme médium en dépouillant le modèle de ses artifices…
Éric Poitevin, Sans titre, 2010. C-print.
Éric Poitevin, Sans titre, 2010. C-print.
Éric Poitevin, Sans titre, 2010. C-print.
Éric Poitevin, Sans titre, 2010. C-print.
Éric Poitevin, Sans titre, 2009. C-print
Éric Poitevin, Sans titre, 2009. C-print
Éric Poitevin, Sans titre, 2010. C-print.
Éric Poitevin, Sans titre, 2010. C-print.
Éric Poitevin, Sans titre, 2010. C-print.
Éric Poitevin, Sans titre, 2010. C-print.
Éric Poitevin, Sans titre, 2010. C-print.
Éric Poitevin, Sans titre, 2010. C-print.
Éric Poitevin, Sans titre, 2010. C-print.
Éric Poitevin, Sans titre, 2010. C-print.
Éric Poitevin, Sans titre, 2010. C-print.