Loin du portrait psychologique ou des démarches humanistes, Éric Nehr donne à voir des corps, des bustes, des têtes, plutôt qu’une réelle identité. Le dispositif est constant: la pose s’effectue devant un fond uni, et le travail sur la lumière est tel qu’on en oublie le reste. Ce n’est que le cartel portant le nom du portraituré qui nous réveille.
Devant David, dont la blancheur de peau est plongée dans une lumière immaculée, ou face à Maria Onofre, dont la peau noire contraste avec sa chevelure à qui l’âge a donné sa couleur, le speectateur oublie le sujet pour se délecter de l’évanescence des corps. En effet, le concept d’individu laisse place à la seule chair. Les sujets sont décontextualisés, pour finalement ne rester que matériau, et même source secondaire de lumière.
Les plis de cous, les rides, les formes et les angles sont désormais réduits à des modulateurs de contraste, le corps étant piégé dans son rôle d’outil graphique qui vient servir l’esthétique de ces images.
On se souvient dès lors de cette vieille dichotomie corps/âme toute cartésienne, dont ces présentes images revisitent l’idée. Si le travail d’Éric Nehr fait disparaître la chair au profit d’un certain éclat, c’est non sans propension au quasi divin, qui prend ici toute sa valeur dans l’épuisement de sa revisite par l’aventure lumineuse. Idée dérangeante? En tous cas pertinente, puisqu’en phase avec les questions contemporaines sur le concept d’individu.
De ce fait, outre la beauté des œuvres d’Éric Nehr, c’est le glissement de l’Homme hors des attributs qu’on lui confère qui fait l’intérêt de celles-ci. Car ici, les expressions, les attitudes des sujets paraissent choisies pour la seule cause photographique, et non pour ce qu’elles signifient. D’autre part, le choix d’exposer différents formats d’images vient ponctuer la scénographie en forçant la perte de l’échelle au long du parcours, et accentuant de fait la problématique suscitée par l’éclairage.
Suit donc, au-delà des réflexions sur la matérialité du corps, la question du portrait en tant que tel. Le discours est en effet aux antipodes des poncifs: il ne s’agit pas de s’inscrire dans les portraits psychologiques, ni même de s’écarter d’une telle démarche: Éric Nehr produit simplement une image, en prononçant haut et fort faire fi du sujet, corps, comme âme. Il distance ainsi ses images des portraits classiques dont il trompe la cause brillamment. Le sujet, c’est ici la lumière, on l’a vu, et donc la photographie elle-même. On saisit l’approche conceptuelle, tant l’intérêt est davantage porté vers le photographique que vers le photographié.
Nehr se situe donc loin d’une approche sémiologique. En effet, l’intérêt de ces « portraits » réside paradoxalement dans l’absence, la perte du référent photographique. Ici, seuls persistent les lignes, les traits, les teintes, comme autant d’attributs dépersonnalisés. Nous parvient donc la seule matière photographique comme support esthétique.
Éric Nehr
— Anne-Marie, 2006. Photo noir et blanc, tirage jet d’encre contrecollé sur aluminium. 40 x 40 cm.
— Matilda, 2006. Photo couleur, tirage lambda contrecollé sur aluminium et cadre. 125 x 140 cm.
— Calla02, 2006. Photo couleur, tirage jet d’encre contrecollé sur aluminium. 40 x 30 cm.
— Calla03, 2006. Photo couleur, tirage jet d’encre contrecollé sur aluminium. 40 x 30 cm.
— Calla04, 2006. Photo couleur, tirage jet d’encre contrecollé sur aluminium. 40 x 30 cm.
— Calla05, 2006. Photo couleur, tirage jet d’encre contrecollé sur aluminium. 40 x 30 cm.
— Elise02, 2006. Photo couleur, tirage jet d’encre contrecollé sur aluminium. 110 x 134 cm.
— Maria Onafre, 2006. Photo couleur, tirage jet d’encre contrecollé sur aluminium. 70 x 60 cm.
— Elise 01, 2006. Photo couleur, tirage jet d’encre contrecollé sur aluminium. 90 x 130 cm.
— David 01, 2006. Photo couleur, tirage lambda contrecollé sur aluminium et cadre. 125 x 140 cm.
— Chiung Wen, 2006. Photo couleur, tirage jet d’encre contrecollé sur aluminium. 45 x 40 cm.
— Calla01, 2006. Photo couleur, tirage jet d’encre contrecollé sur aluminium. 40 x 30 cm.