Les œuvres exposées tracent donc un chemin sensitif varié. Offrant des formes simples et parfois brutes, chaque création d’Eric Baudart fonctionne par effet de décantation. En effet, si leurs formes permettent un impact visuel et émotionnel immédiat, une force purement physique, leur fonction, leur intention créative apparaît tout doucement. Ce décalage temporel entre l’émotion instinctive que chaque pièce provoque et l’émergence d’une pensée les concernant donne au visiteur l’occasion d’une prise de distance et d’une acuité accrue dans sa perception. Ce phénomène est renforcé par la complexité de ces œuvres qui permettent plusieurs niveaux de lecture.
Dans l’entrée de la galerie, se trouve un aquarium en plexiglas rouge large et haut d’un mètre, et de quarante centimètres de profondeur. L’aquarium est posé sur une plaque de plexiglas rouge en zigzag lui servant de socle tout en le prolongeant, puisque la matière est identique. L’eau qui le remplit accroît l’effet de masse de l’objet et le jeu des reflets que les différentes facettes de l’aquarium ne manquent pas de générer tout en se décomposant, s’éclatant à travers des effets de miroir.
C’est en jouant de sa transparence et de la superposition visuelle des quatre côtés, du fond et du socle, que cet aquarium fait éclater l’espace et la perception de chaque composant. Il dégrade les nuances du rouge qui obtient ainsi, par endroits, la profondeur du noir. C’est donc dans ces repères spatiaux flous que le visiteur cherche à voir les sept poissons rouges, en l’occurrence noirs, qui y nagent.
Ces poissons imposent la discrétion et la délicatesse de leur présence dans la masse lourde de l’eau. Ces animaux noirs semblent posséder une valeur graphique dans cet élément où ils sont quelque peu perdus et parfois comme troublés par leur propre reflet. Mais c’est plutôt l’œil du visiteur qui se déplace. Habitué aux aquariums bariolés de fioritures souvent kitsch et denses, il retrouve ici la présence brute d’un animal réputé commun, et qui révèle sa grâce et la finesse de son corps. Le noir des poissons donne par moment l’illusion d’être un effet de superposition des rouges jetant le trouble et donnant envie de s’approcher. Et de près, l’animal dévoile son ventre argenté semblant produire des reflets comme les difractions d’un miroir redessinant les écailles.
Cette première pièce suffit à installer l’univers de l’artiste. Elle utilise des éléments épurés et communs pour installer un double questionnement. D’abord plastique avec ces effets de miroir et de couleur instables. Puis elle montre les rencontres et les décalages entre l’organique, l’objet et leur perception conjointe.
A côté de l’aquarium, dans une excroissance du mur, on peut voir la vidéo intitulée Œil pour œil. Durant moins d’une minute, elle montre l’œil d’Eric Baudart sur lequel vient se poser l’optique d’un appareil numérique ayant la particularité de faire la mise au point sur les objets qu’elle touche. Très troublante, presque dérangeante, cette vidéo confronte deux optiques distinctes: l’œil organique de l’artiste et son outil de création, l’œil numérique de l’appareil.
On peut avoir la sensation que l’œil vient se coller à une vitrine pour mieux montrer sa matière, sa nature. Cette deuxième pièce n’a officiellement aucun rapport avec la première et pourtant elle réutilise, de façon certes très différente, l’élément aqueux avec les larmes que le contact de l’objectif provoque et qui y restent collées. Elle apparaît ainsi comme la confirmation d’obsessions créatrices reconnaissables. Sa grande différence formelle souligne la volonté de questionnement de la matière (que le reste de l’exposition va confirmer), le sens de la curiosité plastique de l’artiste et de son goût de l’expérimentation.
L’eau est toujours présente ou suggérée dans les pièces de la série Crystal. Découlant d’un processus physique et chimique difficilement contrôlable, ces sculptures présentent les résultats aléatoires de la résine figée et apposée sur des miroirs ovales. Quelques bulles d’air sont restées prisonnières entre la résine et le miroir comme pour rappeler leur origine aquatique puisque ces œuvres naissent de la confrontation de l’eau et de la résine. Le résultat est surprenant et stratifié entre plusieurs interprétations.
Il ressemble à des cristaux éclatés cassés ou cassant. Ce sont des éclaboussures figées exprimant une certaine violence et toujours très organiques; effet renforcé par la forme ovale de chaque miroir venant contrebalancer par sa douceur l’aspect cassant des cristaux. Cette pièce confirme l’intérêt de l’artiste pour l’expérimentation de la matière qu’il doit ici «laisser faire» tant elle est incontrôlable. Elle lui offre, en contrepartie, la possibilité de faire des découvertes formelles. Il s’agit, de plus, de créations très vivantes et réactives. Elles changent selon la lumière que réfléchissent les miroirs que l’on devine encore.
Juste à côté, enroulée de façon très relâchée autour d’une colonne, on découvre une bande à poncer en papier de verre bleu foncé déjà usagé. Cet état lui confère plus de matière en soulignant sa rugosité, mais aussi sa fonction. Semblant prêt à l’usage, ce papier de verre haut de plus d’un mètre cinquante ne se prive pas de redessiner l’architecture de la galerie. Et l’on se demande s’il n’est pas appelé à poncer une autre installation qui recouvre l’essentiel du sol de la pièce principale en le jonchant de grandes feuilles d’aluminium de quatre mètres sur deux comme un immense jeu de carte négligemment jeté là .
Non poncées, les plaques d’aluminium possèdent différents effets de matières, elles sont zébrées de dessins proches des nervures d’un arbre. On est autorisé, même invité, à marcher dessus, et découvrir alors les fonctions perceptives multiples de cette œuvre.
Non polies donc, les plaques difractent la lumière et reproduisent au sol le parcours des néons au plafond et tout ce qui vient s’y refléter. Elles interviennent donc sur la perception visuelle et lumineuse, mais aussi spatiale et sonore. Leur effet miroir flou reconfigure l’espace et les pas des visiteurs changent leur impact sonore très différent de celui du sol de la galerie moins percutants.
Il s’agit également d’une création en évolution. Bien que très résistantes, les plaques retiennent certaines traces de pas et montreront, à la fin de l’exposition, l’expérience tactile du parcours dont elles furent le support.
Une dernière pièce est accrochée sur le mur du fond. Il s’agit d’un monochrome jaune fluo en plexiglas haut d’un mètre quatre-vingts sur un mètre vingt. Ce monochrome forme une masse brute, lourde dont la couleur permet de renvoyer la lumière au point d’éteindre celle des murs blancs qui l’entourent. Le choix de la couleur appuie la fonction de cet «objet photoshop», un objet virtuel.
Cette exposition d’Eric Baudart invite ainsi le visiteur à une expérience sensible permanente où les jeux de lumière et de miroir redessinent l’espace du parcours qu’il doit accomplir. Se jouant de la matière, les œuvres de «Preview» rappellent leur capacité à créer des décalages perceptifs. La simplicité et la familiarité des objets (aquarium, poissons rouges, papier de verre, miroir, aluminium…) se voient projetées dans un nouvel espace interprétatif où leur matérialité brute se libère et s’ouvre.
— Eric Baudart, Cryst, 2011. Résine, bois, plexiglass, miroir. 90 x 68 cm
— Eric Baudart, Cryst, 2011. Résine, bois, plexiglass, miroir. 90 x 68 cm
— Eric Baudart, Cryst, 2011. Résine, bois, plexiglass, miroir. 90 x 68 cm
— Eric Baudart, Bande à poncer, 2011. Papier de verre. 156,5 x 98 x 33 cm
— Eric Baudart, Feuilles alu, 2011. Aluminium. 6 éléments, 400 x 200 cm chacun
— Eric Baudart, Plexi jaune, 2011. Plexiglass, peinture acrylique. 123 x 180 cm
— Eric Baudart, Oeil pour oeil, 2011. Vidéo. 55 sec en boucle
— Eric Baudart, Aquarium rouge, 2011. Plexiglass, eau, poissons. 100 x 100 x 40 cm