Communiqué de presse
Timo Nasseri
Epistrophy
Né en 1972 à Berlin, fils d’une mère allemande et d’un père iranien, Timo Nasseri a entamé sa pratique en tant que photographe.
La série « Jet Skin » (2004), surface encodée et ondulante de puissants avions de guerre en a été l’apothéose et le tournant vers la sculpture. En effet, peu après, « Flag » jouait de cette ambivalence entre surface et volume, entre drapeau noir monochrome et sculpture figeant les formes d’un tissu bombé par le vent.
Le travail minutieux de la forme apporte à l’oeuvre un degré de perfection proche des machineries de guerre ou encore des structures architecturales islamiques qui sont l’objet des recherches actuelles de l’artiste.
En effet, pour son exposition personnelle à la galerie, Timo Nasseri présente un ensemble d’oeuvres sur différents supports, conçues à partir des Muqarnas, un type d’encorbellement utilisé comme ornement dans l’architecture islamique et perse traditionnelle, surgis à partir du XIe siècle.
Les Muqarnas encerclent un espace et en façonnent le vide. Placés en hauteur, ils configurent une image abstraite de l’infini. Le motif original est conçu à partir de formes simples qui peuvent se combiner sans fin pour créer des motifs différents sans qu’ils ne se répètent.
Timo Nasseri semble avoir trouvé dans le passé historique de l’ornement islamique ce même plaisir à suggérer à partir d’une surface un volume structuré. « Epistrophy #1 », sa nouvelle sculpture inspirée de cette forme architecturale, est soigneusement détournée de son passé. Elle est incrustée dans le mur, rendant le ciel accessible. En inox poli, elle reflète le monde autour au lieu de le représenter – ou plutôt, le représentant de façon tout à fait fragmentaire et multipliée.
Qu’est-ce que cet infini que façonnaient ses structures géométriques ? A-t-il une place dans une société où tout est image de soi ? L’irrévérence de ce geste, simple et beau, questionne sans apporter d’autre réponse que ce vide sculpté où l’image de soi s’étoile dans l’immensité du reflet du monde.
L’artiste présente également des dessins retraçant les calculs géométriques servant à l’édification de la Muqarnas. Sous fond noir, les lignes s’entrelacent sur la feuille. Elles présentent à la fois la fascination visuelle et sa formule, par le biais d’annotations mathématiques ponctuant le dessin.
Entre plan d’architecte et figuration de la beauté céleste, ses dessins marquent un processus menant vers une abstraction intuitive. Une autre déclinaison de la forme bidimensionnelle de départ se fera sur un présentoir portant des formes similaires à la structure en nid d’abeille, mais fermées, pleines, telles des petits mondes clos de ciels inaccessibles.
Dans cette nouvelle exposition de Timo Nasseri, le vide et le plein, le miroir et l’opacité, la surface et l’image s’affrontent, comme deux mondes issus l’un de l’autre mais ayant développé une chimie autonome. La relation de l’artiste avec sa double nationalité file un questionnement qui évite les pièges faciles : il ne s’agit ni de prendre position ni de représenter un clash de cultures.
Il est plutôt question d’explorer une richesse culturelle, et parfois historique – comme c’est le cas pour Muqarnas – tout en en abordant les apories.
Ainsi les sculptures « Apache et Comanche », présentées lors de son exposition personnelle à la galerie en 2006, reprennent un paradoxe culturel dans lequel la double identité de l’artiste joue un rôle de prise de conscience.
Ce sont de longues productions de maquettes d’hélicoptères de guerre de l’armée américaine dont le nom (celui de tribus indiennes) révèle une évidente ironie (cette même armée qui revendique les capacités de camouflage des indiens a décimé leurs tribus des décennies auparavant).
Recouvertes de plumes d’oiseau, issues d’un processus lent et méticuleux comme celui d’un rituel mortuaire, ces oeuvres révèlent un rapport complexe aux conflits politiques. La lenteur du processus, son résultat décontenançant, le caractère zoomorphe de ces machines pose la question du deuil.
Mais pour qui le porte t-on ? Plusieurs forces s’épuisent : celle de la machine sous l’ouvrage manuel, celle du savoir tellurique de l’indien, déréalisé par la machine, celle de la guerre avec son niveau d’abstraction, celle de la beauté dans le pathétique du geste…
Les oeuvres de Timo Nasseri poursuivent souvent ce questionnement tiraillé entre identités et points de vue, notamment à travers la langue. Ses séries de sculptures murales (2004- 2008) à partir d’écritures en Farsi génèrent une ambivalence, partageant les spectateurs entre ceux qui savent interpréter les signes et ceux qui ne le peuvent pas. Les écritures comme « Fadjr » (Aube), 2007, ou « Simorgh » (Phénix), 2008, se dessinent en relief sur le mur. Purement abstraites pour certains, elles renvoient autant à l’armement iranien (ce sont des noms de missiles) qu’à l’idylle ou la mythologie.
L’oeuvre de Timo Nasseri figure actuellement dans l’exposition Eurasia au Mart, Modern and Contemporary Art Museum of Trento and Rovereto, Italie (curateurs : Achille Bonito Oliva, Christiane Rekade).
Elle sera également représentée en décembre prochain dans une exposition collective à l’Espace Paul Ricard, Paris (curateur : Patrice Joly).
critique
Epistrophy