Les installations réalisées par Jennifer Allora et Guillermo Calzadilla font surgir d’improbables figures, fragiles et imposantes, aux destinées complémentaires.
Ruin, la sculpture exposée à l’entrée de l’exposition, immense assemblage de pièces métalliques ajourées, fait écho à Growth, une pièce composée de quatre cactus. Les deux états extrêmes de la vie sont mis bout à bout, sous des formes opposées: la ruine métallique et la vie organique.
Ruin est composée de chutes de plaques métalliques, arrachées à la destruction. Le déchet mis au rebut acquiert une forme à défaut de trouver un usage: c’est dans les industries de métal qu’Allora et Calzadilla ont trouvé ces chutes. Le découpage des objets fonctionnels laisse en creux une forme inversée, inutile, abandonnée à la ruine. Au lieu d’être modelée en plein, la forme est l’empreinte laissée par la découpe dans la matière.
Ces plaques sont reliées entre elles par des charnières, et leur assemblage dessine un vaste ensemble au tracé ramifié. La finesse des plaques en inox amplifie le vide qui les éventre, donnant une impression de fragilité saisissante. Plus qu’à une sculpture de métal, l’ensemble ressemble à un papier plié, coupé au ciseau, puis déplié.
Cette ruine est une sorte de sculpture au pochoir, travaillée en son envers: la matière de cette forme sculptée par l’empreinte est l’air, et la légèreté de ce pliage fait croire à cette impossible pari de sculpture: travailler l’air, le vide. Vus les uns à travers les autres, ces espaces ajourés créent des effets de perspective qui compliquent la forme, la transpercent pour laisser circuler le regard. La ruine prend vie dans ce pliage de la matière et de la forme. Growth est un ensemble de quatre cactus, eux-mêmes composés de différentes espèces, croisées entre elles. Loin d’être relégué aux secrets des coulisses, le procédé de la greffe est ici arboré avec ostentation: le cactus mineur greffé sur le corps principal de la plante se dresse comme une excroissance monstrueuse, plantée en équerre. Des bandages soulignent la violence de l’implant, et l’impossible cicatrisation de cette intrusion.
Le développement de ces plantes hybrides semble précaire, objet d’un soin permanent, sans aucune promesse d’intégration harmonieuse à une forme nouvelle. On s’attend à tout moment à une chute de la tige fichée à l’horizontale, comme si la croissance portait en elle son principe d’autodestruction.
Une vidéo complète ce travail sur ces systèmes en désordre: Sweat Glands, Sweat Lands. Un cochon est rôti sur une broche, elle-même attachée à la roue arrière d’une voiture. On ne voit d’abord que le cochon, tournant à fière allure, un peu trop vite pour l’usage du tournebroche. Les premiers plans sur la voiture sont alors mystérieux, avant qu’on comprenne que celle-ci est immobile. L’accélération transmet sa puissance au mouvement du cochon, pendant qu’une voix lit un texte en espagnol.
Ce texte très rythmé entraîne le mouvement en boucle de la voiture et du cochon, litanie menaçante évoquant un monde à la dérive, où le hoquet secoue la planète dans un spasme collectif.
Rien n’a d’identité close: la ruine est promise à une vie épurée par l’abandon, à partir du moment où elle échappe à l’usage. Le corps organique greffé voit dans la croissance qui l’entraîne un destin fatal, l’expansion étant pour lui synonyme de destruction.
Traducciòn española : Maïté Diaz
English translation : Margot Ross
Jennifer Allora & Guillermo Calzadilla
— Ruin, 2006. Inox et peinture noire. Dimensions variables.
— Growth, 2006. Cactus et greffes (Pathycerus pecto-abrigine et Pachycereus Pringlei ; Marginato cergus marginatus et Pilosocerens ; Tricho Cereus Hertringinnis, Pilosocerens azureus et Wetoerocereus yohnstonii). Dimensions variables.
— Sweat Glands, Sweat Lands, 2006. Vidéo couleur transférée sur DVD, son. 2 mn 21.
— Chalk (New York/Lima/Paris), 1998- 2006. 12 craies. Diam. 20 cm x Long. 162 cm.