Blanca Casas Brullet, Pierre Yves Freund
Entre-temps
Dans l’oeuvre de Blanca Casas Brullet, si les expérimentations menées autour du mouvement, du temps, du corps sont très largement liée à la photographie, (écriture avec la lumière), elles s’appuient également sur d’autres pratiques dans lesquelles «l’espace-page», occupe une place privilégiée: pliée en accordéon, reprisée, réduite en confettis, découpée, et vient prendre toute sa place à côté de la surface sensible du film ou du papier photographique.
Il est avant tout question pour Blanca Casas Brullet d’interroger le processus même de la création, depuis la page blanche jusqu’aux différents modes d’apparition des images. Ainsi en témoignent ses derniers travaux Esborralls (les brouillons) et les Boîtes (prélèvements) qui se développent et s’imbriquent à travers différentes déclinaisons.
Les Esborralls, ce sont d’abord une série d’origamis de formats variables longuement, patiemment élaborés par pliage avec des gestes répétés, systématiques, qui cependant au premier regard peuvent faire illusion en ayant l’apparence d’objets-rebuts, qui seraient issus de gestes aussi contradictoires que définitifs ceux de froisser, d’exclure, d’éliminer.
Par un procédé de galvanoplastie, ces «précieux ratés» –ainsi les nomme l’artiste– sont recouverts d’une fine couche d’argent – clin d’oeil au papier photo argentique – qui épouse chaque pli du papier. Objets-leurres ou joyaux dérisoires abandonnés sur un coin de table, ils sont comme une re-formulation dans la maîtrise, l’interprétation du raté, de l’accident.
La série photographique des Brouillons argentiques, est constituée d’une douzaine d’images de Brouillons –papier plié–, obtenues à l’aide d’un appareil sténopé, fabriqué à partir d’une boite photos vide servant à protéger le papier vierge de toute lumière. Une fois détournée, cette boîte devient la chambre noire où le papier est exposé pour obtenir une image.
Pour Blanca Casas Brullet les ratages comme les réussites sont souvent le fruit du mélange du hasard et de la méthode, de l’inattendu conjugué avec le contrôlé, une mise en tension entre deux forces inversées, comme ici entre deux gestes contraires, la méticulosité, la précision du pliage effectué pour la réalisation des brouillons et la méthode très empirique et approximative du sténopé.
Pierre Yves Freund travaille depuis les années 1990 sur les notions de trace, d’empreinte, avec le hasard de lieux, de rencontres, le prélèvement et l’appropriation de matériaux. A travers ses photographies et ses sculptures, il est question de geste, de fragment, de recommencement, de réminiscence, d’affleurement.
L’artiste introduit parfois la mise à l’épreuve du geste unique, l’équilibre possible –qui ne tient qu’à un fil– entre un volume de plâtre et le sol, parfois encore il aligne sur le sol des sculptures organisées en séries plus ou moins semblables issues d’un même moule et enfouit des mots dans le plâtre. Laissant souvent au temps l’action de son empreinte, il utilise aussi le thé, la lumière, la température comme éléments actifs de ses dernières sculptures.
L’artiste a une approche devenue «classique» de la sculpture. Au cœur de sa pratique réside une prise en compte du temps qui induit des processus de réalisation et une syntaxe exigeants: la répétition d’un même geste (jamais à l’identique), l’économie de moyens, le prélèvement d’éléments de l’environnement proche.
Ainsi Les Lauzes, ayant pour origine une pierre choisie et ramassée lors d’une résidence en Ardèche, puis moulée et multipliée; ainsi le Grand bâton, relecture d’un outil d’architecte, ou la Non Nommée, volume né d’une empreinte d’un emballage industriel.
«Je n’invente rien, dit Pierre Yves Freund, je m’approprie et relie avec des moyens volontairement réduits. Le plâtre, sous toutes ses formes, polymère ou basique, la cordelette pour les liens, le pigment qui s’estompe, l’écriture perdue, le temps, les blessures portées à l’objet, heurts et imperfections, je me souviens que cela fut. L’objet n’est pas parfait, il tendrait à l’être.»
Essentielle, la mise en espace (en place) l’est également car mise en relation à l’architecture du lieu, le « relatum », « Ce ne sont pas les choses qui existent, ce n’est pas le monde qui existe, c’est le rapport entre eux »(Ufan Lee).
Ainsi le Grand Bâton pose un élément central comme geste d’audace (l’équilibre) qui influe sur l’autour. Pour l’artiste, tout entre en résonance, les autres pièces, les murs, les déplacements des visiteurs, la direction de leur regard, les variations de la lumière.
Entre-temps: un trait relie les deux mots, les gestes désignent la possibilité d’une rencontre, une partition s’écrit dans l’espace, de l’un à l’autre l’intervalle tendu de ce qui peut advenir.