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Entre réalité et fiction

Votre exposition «632-A picture of me» à Larcade Gallery était votre première rétrospective depuis 2007. Comment l’avez-vous abordée? Quel regard portez-vous sur ces cinq années de création?
LUNa. «632-A picture of me» m’a permis de faire le point sur un ensemble de pièces produites au cours de ces cinq dernières années. Il a pour cela fallu construire des espaces de cohérence visuelle pour créer la mise en tension des images. Le terme «chantier» serait approprié à ce processus. Durant ces cinq dernières années, j’ai abordé les nouvelles technologies mais également l’écriture.

Vous questionnez la représentation à partir de la définition par Léonard de Vinci de l’œuvre en tant que «cosa mentale» (chose mentale). Comment cette approche s’actualise-t-elle dans vos œuvres?
LUNa. L’image dit toujours plus que ce que l’on voit au premier abord, c’est en ce sens qu’elle fait défaut. Mes photos, par exemple, au caractère quasi pictural et visuellement très sophistiquées (surtout les séries Gate 20-21 et Landscape), utilisent les procédés de la publicité.
L’image, rassurante au premier abord, conduit l’œil à s’approprier des éléments, des détails et à mettre à l’épreuve les rapports complexes qui se nouent à l’intérieur du «tableau». Pour apprécier la «valeur» artistique de l’image je me réfère à la définition léonardienne de l’œuvre en «cosa mentale». L’artiste, maître de la représentation, introduit le spectateur dans le double espace du réel et de la fiction, le laissant participer au montage des images, combler les manques et peut-être construire une narration de l’image.
Pour ma part, je lance des pistes, sème des indices, prépare mes plans. Le spectateur doit combler les manques en se représentant ce qui n’est pas représenté, en re-fictionnant à sa manière, en scénarisant peut-être sa propre histoire. Il suffit alors de traverser le miroir et de passer du côté du spectacle de l’autre nous renvoyant à nous-mêmes lorsque nous en contemplons l’image. Processus que Michel Foucault décrit ainsi: «C’est que peut-être […], l’invisibilité profonde de ce qu’on voit est solidaire de l’invisibilité de celui qui voit».

Comment s’opère votre rapport à la fiction et au réel? Comment se construit cet espace indéfini où se mêlent réalité et fiction?

LUNa. Il s’agit de troubler les limites entre réalité et fiction dans des espaces architecturaux qui privilégient deux mondes: l’un possible, l’autre réel. Il est question d’interroger le prolongement du réel dans le fictionnel, l’injonction du fictionnel dans le réel. J’entends par limites, non seulement celles entre les genres artistiques mais aussi celles entre l’art et le quotidien, entre fiction et réalité. Finalement, il n’y a pas tant de différence entre le réel et le fictionnel. La réalité est toujours d’une manière ou d’une autre susceptible d’être en représentation et donc en partie fictionnée.

Quel statut accordez-vous aux images? Vos vidéos ou photos sont-elles des présentations du réel ou des représentations fictionnelles?
LUNa. Une grande partie de mon travail repose sur la question du statut de l’image, et par extension sur celui de son auteur et de son spectateur. Mon travail vidéo est indissociable des dispositifs de monstration que je mets en place et que je considère comme des dispositifs d’immersion du spectateur. J’utilise le dispositif sculptural, créant des manques à l’image, réactivant ainsi le processus de la mémoire, confrontant le spectateur à une expérience de double et de miroir.
Le réel et le fictionnel s’entremêlent pour construire des réalités fictionnelles ou des fictions réelles.

Et l’écriture… dans la série Opus-Cul sous chacune des douze photos identiques d’un lit défait aux draps froissés sont notées des phrases érotico-pornographiques. Qu’apporte l’écriture dans les rapports entre réel et fiction?
LUNa. L’écriture est née d’une correspondance épistolaire durant six mois avec un homme, vivant au Canada. Au fur et à mesure du projet, j’ai creusé l’intime et son processus temporel dans les déplacements de présence virtuelle et de distance physique.
Je suis allée rejoindre cet homme lui proposant un huis-clos dans un appartement que j’avais loué. J’ai alors procédé à l’enregistrement en temps réel et continu de nos échanges. Nous sommes passés de l’écriture à la parole — face caméra. L’enjeu du «ici et maintenant» était différent, nous inventions un autre espace, un espace relationnel. De retour, en France j’ai construit Opus-Cul, sous forme de phrases impératives que l’on retrouve sous chaque photographie.
L’écriture s’est effacée pour tisser une sorte de topographie commune. Les phrases ne sont plus rattachées aux auteurs, elles s’annoncent comme une présence sans visage ou une absence à combler. On peut alors parler d’une forme de dépersonnalisation, interrogeant la relation image/auteur, fiction/réalité, virtualité/présence/absence. J’ai donc intégré dans ce travail l’écriture comme outil performatif.

Les lieux occupent toujours une fonction dans l’interprétation d’un récit. Dans quels lieux se déroulent vos projets artistiques? Des lieux réels ou imaginaires?

LUNa. L’espace comme lieu des interactions et territoire des possibles est un élément essentiel de mon travail, notamment vidéo. Les lieux dans lesquels je filme sont appréhendés comme des spatialisations qui composent les représentations de mes mises en scène (composition, motifs, couleurs, lignes, géométrie, lumière).
Dans les vidéos Tentative, les scènes se déroulent dans des restaurants, des cafés, des lieux chargés d’histoire et de mémoire.
Je travaille donc sur des lieux concrets. Le lieu est une fenêtre ouverte sur le monde des possibles. Il est un espace structurant où se jouent les rencontres de mes personnages.

L’espace urbain — ses réseaux complexes de rues, sa foule en mouvement perpétuel — est-il un terrain propice à la fiction d’obédience réaliste? Par exemple dans la vidéo Le Sourire de J.
LUNa. Oui, c’est incontestablement un élément important. Le contexte de l’espace urbain m’a permis de construire des propositions ouvertes. L’ensemble des plans-séquences par les va-et-vient inattendus joue sur deux possibles: la notion de documentaire (dans sa forme réaliste) et une notion plus poétique dans la fiction que je détermine comme un «non-lieu».
Pour mon projet de vidéo Le Sourire de J. (4 écrans, 4 projections, 4 temps, 4 tableaux), j’ai choisi les lieux pour leurs dimensions à la fois historique, sociale et culturelle. J’envisageais l’espace clos de la Cour Carrée du Louvre comme un lieu propice à la médiation mais aussi comme une métaphore de l’espace mental.
Le territoire du quotidien et le territoire des possibles (là où se concrétise la fiction) restent dans mes recherches une problématique sociopolitique et existentielle. La rue devient le théâtre de rencontres qui pour être fictionnées n’en sont pas moins réelles. On s’oriente alors vers une hybridation des formes de l’image où s’entremêlent les éléments factuels et fictionnels, concrets et imaginaires.

Vous mettez souvent en scène votre corps, par exemple dans le film court Je vous ai toujours rencontré ou dans la série photographique Gates. Quelle place et quel rôle occupe le corps dans votre pratique artistique? Comment s’élabore le processus de mise en situation de soi?
LUNa. Ce corps que je mobilise, je l’investis d’une charge politique, poétique et sociale en déconstruisant les codes et les stéréotypes qui nous sont assignés tout au long de notre existence.
La mise en situation du «moi» dans les images répond tout d’abord à la contrainte de temps (rapide de la prise de vue) et s’inscrit dans une démarche engagée et une réflexion du statut de modèle (remise en question des stéréotypes). Finalement, cette mise en situation est une mise en scène, et opère une dépersonnification.

Quels sont vos projets?
LUNa. En novembre je présenterai la série Gate 20-21 ainsi qu’une vidéo à Larcade Gallery. Cette exposition s’inscrit dans le cadre du Mois de la Photo-off. Ma galeriste m’a également proposé un work in Progress durant un an sur un projet vidéo et photos.

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