Dans l’incertitude qui plane sur l’exposition, Remy Jacquier est celui qui capte tout particulièrement l’attention. «Lettre sur les sourds et muets à l’usage de ceux qui entendent et qui parlent» est une œuvre sobre et élégante, une installation au dispositif complexe qui mobilise la vue, l’ouïe et le toucher. Elle est inspirée d’un texte éponyme de Denis Diderot qui amenait l’auteur à spéculer sur la relation entre ce que l’on perçoit et ce que l’on est, sur le fait que nos idées morales dépendent de nos sens, sur la traduction et les incertitudes.
Dans un premier temps, Rémy Jacquier traduit un texte de Diderot en braille, puis en grossit chaque point jusqu’à ce qu’il atteigne la dimension de la pulpe d’un doigt. Sur un support de grand format, le texte garde sont apparence, c’est-à -dire la forme de ses paragraphes, mais il devient illisible qu’on soit voyant ou aveugle. Dans un deuxième temps, ce sont des titres de textes qui sont traduits pour être mis en volumes. Les doubles carrés du braille deviennent des cubes, les points des portes.
Ces dernières sont reliées par des ponts et des escaliers, passages d’un point à un autre, d’une lettre à l’autre. Finalement, une musique est créée pour servir de fond sonore aux dessins et aux structures architecturales. Il s’agit d’une transposition du texte grâce à un système d’équivalence existant entre le braille alphabétique et notation musicale: les lettres et la ponctuation sont converties en notes et en signes musicaux.
Pendant que Remy Jacquier se livre à des expériences sensorielles, Russel Crotty se perd dans la contemplation des astres, griffonne, prend des notes. Armé d’un stylo-bille, il noircit scrupuleusement, méthodiquement, des globes en fibre de verre recouverts de papier pour reproduire des constellations, des galaxies et des nébuleuses. Il combine virtuosité, quête de perfection et l’engouement pour l’astronomie tel que l’a connu le XIXe siècle. Le résultat, basé uniquement sur l’observation, est délicat, poétique, vibrant. L’univers vu par Russel Crotty devient fragile, à la portée de l’être humain. Les rôles s’inversent et l’on peut pour la première fois expérimenter la sensation d’être à l’intérieur et en même temps à l’extérieur d’un cosmos pourtant insondable.
De dimensions variables, les globes sont suspendus au plafond, à la hauteur des yeux, pour faire admirer les milliers de coups de stylo donnés par un artiste dont la fascination pour les étoiles est communicative. Lorsqu’en plus du ciel, Russel Crotty représente un paysage, il ajoute fréquemment l’écriture. Tantôt, ce sont des descriptions poétiques des aventures dans la nature sauvage, tantôt des textes militants aux préoccupations écologistes.
De retour sur terre, on se perd dans les paysages d’Olivier Masmonteil, un autre amoureux transi de la nature. Le peintre qui se consacre exclusivement à la figuration d’étendues qui s’offrent au regard, propose ici une série de fusain sur toile. Son imagination se nourrit aussi bien d’accumulations de souvenirs et d’observations que de des gravures anciennes et d’estampes chinoises. Par ses choix artistiques, Olivier Masmonteil semble renoncer à l’instantanéité des effets de mode et préfère s’implanter dans la durée.
Dans cette série, il dresse un décor qui semble attendre une action et ses protagonistes. Entre le bord inférieur du cadre et la ligne d’horizon, s’accumulent les plans: le paysage se décompose en une multitude de strates, entraînant le regard d’un point à un autre. On vagabonde donc dans ces étendues qui semblent infinies sans trouver de point d’ancrage, sans but réel.
Quant à Wawrzyniec Tokarski et Adrian Sauer, leurs œuvres ne sont malheureusement pas assez nombreuses pour donner lieu à une critique approfondie. La peinture du premier et la photographie du second s’égarent quelque peu dans cet ensemble amenant même le spectateur à s’interroger sur la raison de leur présence au sein du groupe.
Traducciòn española : Maïté Diaz
English translation : Nicola Taylor