Nelson Aires, Cécile Bart, Marie Bovo, John Cornu, Jennifer Douzenel, John Hilliard, Willi Kopf, Claude Lévêque, Bérénice Merlet & Armand Morin, Julien Tiberi.
Entre Chien et Loup.
Apparue en France au XVIIIe siècle, bien qu’existant depuis l’Antiquité (inter canem et lupum), l’expression «entre chien et loup » désigne ce moment d’indistinction, à la tombée du jour, où la lumière est telle qu’il est impossible pour l’homme de distinguer le chien du loup.
Autrement dénommée «crépuscule », «heure bleue » ou encore «morsure des ténèbres », celle-ci tend à souligner une rencontre entre des opposés, entre le jour symbolisé par le chien, qui nous guide vers quelque chose de familier, et la nuit symbolisée par le loup qui incarne la menace mais également les cauchemars et les peurs.
L’exposition « Entre chien et loup » part de cette indistinction, de ce trouble, de cet entre-deux, pour confronter le visiteur à des dérèglements infimes, des équivoques aussi bien de la matière que chromatiques, symboliques ou encore temporelles.
Il s’agit de saisir et de présenter des espaces infra-minces, des instants furtifs, des perceptions ambiguës, des formes et des trajectoires sensibles où la nuance est le but recherché. En d’autres termes, de réinvestir le regard par le sens du détail et de la subtilité.
On pourrait citer pour commencer les trajectoires presque chorégraphiques d’une cosmologie de poussières passant lentement devant un éclairage de Michel Verjux. Ici, Jennifer Douzenel propose un Hommage où l’infiniment petit côtoie l’infiniment grand. Dans un autre registre, les clous de Nelson Aires plantés à même les murs du lieu d’exposition suggèrent les vestiges d’un précédent accrochage. Seul le regardeur attentif remarquera leur éclat particulier indiquant un geste hautement alchimique: leur transsubstantiation de l’acier à l’argent.
Un peu plus loin, John Cornu installe Macula, dont le titre est emprunté à cette maladie rétinienne où la vue s’estompe par le milieu, soit un ensemble de châssis à entoiler qui semblent avoir subit l’épreuve du feu. Ces derniers sont toutefois des objets-peintures, une simple représentation sculpturale et picturale.
Autre jeu encore, avec le diptyque photographique de John Hilliard qui présente quant à lui une similitude formelle entre des éléments aussi contraires que l’eau et le feu. Chez Bérénice Merlet et Armand Morin, c’est un végétal, une souche d’arbre, qui se pare d’une mosaïque de petits carreaux de faïence, comme une fossilisation improbable, une conjugaison poétique de la nature et de la culture. Sous une apparence bien lisse Julien Tiberi propose de son côté un white cube diffusant quelques uns des cris les plus emblématiques de l’histoire du Rock.
Au silence de la forme répond alors l’exactitude documentaire, témoignant de toute cette partie de l’histoire musicale de la seconde moitié du XXe siècle. Chez Willi Kopf, la simplicité formelle de son grand monolithe d’aggloméré est contrebalancée par la complexité de sa construction. 2x – V 100 E-1 présente en effet les faces composées d’un assemblage presque mondrianesque.
Chez Marie Bovo, c’est le faste et la magnificence des moulures des plafonds de porches d’immeubles du quartier de Belzunce à Marseille qui tente de résister à l’épreuve du temps. Ses Grisailles sont en effet émaillées de quelques craquelures et retouches à l’enduit. Il y a aussi ce geste de Claude Lévêque qui dépeint un singulier portrait de l’adolescence. L’artiste prélève sur une table d‘une cantine de son enfance, une assiette transparente en pyrex, comme on en trouve encore dans de nombreuses collectivités, pour l’associer avec un des symboles du passage à l’âge adulte, la lame de rasoir.
Entre poésie sombre et minimalisme, splendeur et décadence, nature et artifice, réalité et fiction, l’exposition «Entre chien et loup » fait ainsi sien les vers de Verlaine «Pas la Couleur, rien que la nuance !», à l’image du travail de Cécile Bart qui propose pour l’occasion une gamme de neuf de ses échantillons…