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Entity

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@22 Sep 2008

Fasciné par l’univers des sciences et la notion de « corps technologique », le chorégraphe anglais présente sa dernière création : Entity. Deux journalistes de Paris-art confrontent leur point de vue sur cette danse nerveuse et virtuose, qui ne fait pas l’unanimité.

Une musique baroque, jouée par le Quatuor Debussy accompagne le lever de rideau d’Entity, a Diptych, chorégraphie de Wayne McGregor. Répétitive, lancinante, elle exaspère les tensions, accentue l’effet de scie, et d’harmonie rompue. Et vous connecte derechef au tempo énervé de Wayne McGregor et de sa compagnie, la Random Dance, danse du hasard au nom prophétique,  auquel on ajouterait volontiers celui d’intranquilité.

Un homme danse seul… Arrive une femme qui, immédiatement, le prend en mains, s’exprime dans toute sa grâce, puis se partage entre deux hommes, à moins que ce ne soient les hommes qui se la partagent.

Les corps, par jeu, se rencontrent. Quelques figures de style et ils s’éloignent. Corps dépourvus d’affect . « La viande…  » disait Jorge Donn. Ne s’attardent donc pas dans les affects, mais au contraire s’en délient immédiatement. Un couple mixte — homme/femme — se forme. Des femmes accourent. L’homme se fâche. Les femmes s’éloignent. L’homme montre ce qu’il sait faire. Une femme se dévoue mais on voit que le cœur n’y est pas. Puis, mission accomplie,  le refoule. La femme s’offre à nouveau. Apparaît un autre homme, le couple se reforme. La femme reste. L’homme s’éloigne…

En petites culottes noires et débardeurs blancs qui mettent en valeur la perfection des corps rompus à la discipline classique, les danseurs épuisent frénétiquement toutes les ressources des parades de séduction et autres vols nuptiaux. Comme une sorte de jeu où il semblent se passer le relai du mouvement. Regards durs, défiants, ils se livrent à des rôles de domination où les corps s’imposent, se contraignent, toujours excessivement, se déplaçant parfois à même le sol, tels des insectes, par soubresauts.

Sur les trois écrans qui cernent le plateau sont projetées des vidéos où, faisant écho aux désordres amoureux des danseurs, des particules s’agitent d’un mouvement brownien, prouvant l’existence des molécules. A moins qu’elles ne vérifient la théorie cinétique des gaz parfaits qui veut que l’ensemble des particules qui se déploient dans l’espace occupent tout l’espace à leur disposition.

Les danseurs de McGregor se déploient eux dans l’univers très codifié de la danse classique, revisitant tous les pas : sauts de basque, sauts de biche, sissonnes, cabrioles, pirouettes, arabesques, longs développés, grands jetés, retirés presque tombés en désuétude, jusqu’à l’entrechat dont on pensait qu’après Noureev, on ne le reverrait plus… Dans des pas de deux, parades amoureuses dignes du Cirque de Pékin, les corps se cherchent, se trouvent, se provoquent, s’enlacent, s’emmêlent, se tordent, se défient, se collent dans une recherche aussi exacerbée que méfiante du plaisir, puis se lâchent, vont voir ailleurs, se perdent.

Quand il a épuisé le vocabulaire classique dans sa perfection, McGregor le pousse jusqu’à la caricature. Sur une musique lourdingue, grossière, binaire, une danseuse exécute tous les poncifs de la séduction, versus classique. Des hommes se cambrent à l’extrême, accentuant des postures de volaille, poussant loin une gestuelle de poulailler.

Direction artistique et chorégraphie : Wayne McGregor
— Musique : Detector by Joby Talbot, Jon Hopkins
— Danseurs : Neil Fleming Brown, Catarina Carvalho, Agnès López Rio, Paolo Mangiola, Ángel Martinez Hernandez, Anh Ngoc Nguyen, Anna Nowak, Maxime Thomas, Antoine Vereecken, Jessica M Wright
— Décors : Patrick Burnier
— Costumes : Patrick Burnier
— Lumières : Lucy Carter
— Vidéo : Ravi Deepres

Frénétiques, lascifs, exténués de recherche du plaisir ou de recherche de l’autre, les danseurs de McGregor expriment ce bouillonnement de particules, ces rencontres aléatoires qui ne sont peut-être que la vie même : une sollicitation permanente de propositions multiples… Incapables qu’ils sont de choisir, incapables de s’arrêter, condamnés à ces mouvements nerveux, saccadés, jamais, semblet-il,  ils n’atteignent la plénitude, mais campent dans une approximation douloureuse : l’insatisfaction. Une imperfection à laquelle l’approche talentueuse de Wayne McGregor confère une certaine beauté.

A la première image, un lévrier courait sur un des premiers films enregistrant le mouvement. La pièce s’achève sur la même image.

Par Franck Waille

La danse de Wayne McGregor telle qu’elle apparaît dans Entity : a diptych reste énigmatique, alchimie de paradoxes qui, malgré tout, fonctionne.

Tout, ou presque, dans cette pièce aux allures néo-classiques, devait en faire un produit inassimilable. Au fourmillement des gestes et à l’atomisation de l’espace répondait la segmentation aussi anti-naturelle que possible des corps et des mouvements.
Rien dans les rencontres ne pouvait laisser entrevoir un espoir de tendresse, de sentiment, de poésie — si les rencontres devaient être celles de couples, ceux-ci en seraient restés à d’étranges parades nuptiales sans lendemains, brusques souvent. Les séries d’enchaînements se juxtaposent, jaillissant parfois subitement de nul part, pour laisser peu après un danseur presque immobile, un peu hagard de la débauche gestuelle à laquelle il venait de se livrer.
Ou pour laisser une danseuse au visage se décomposant dans une illusoire émotion devant un partenaire déjà à l’autre bout de l’espace, danseuse aussitôt rattrapée par une nouvelle rencontre qui redonne à la mimique sa tension figée et soi-disant animée.
Pour laisser enfin des corps arrêtés, assis au sol, dans un état de tension similaire à celui qu’ils venaient de connaître dans le mouvement, les visages toujours serrés pour soutenir des bras démesurément restés à la verticale… Rien, non rien dans cette façon d’entrer en danse qui puisse me rejoindre et modifier mon état de corps, mon état de cœur.

Ni même l’efficacité d’une scénographie tout orientée vers la mise en valeur d’un espace vierge pour cet affolement des corps. Ni encore la musique, interprétée d’abord en direct par un Quatuor Debussy enfermé dans une cage noire le rendant invisible, et bientôt engloutie sous les saccades d’une rythmique électronique pulsive.

L’apparition des trois musiciens pour le salut final dit en abîme le propos de McGregor : faire disparaître toute idée de corps naturel, le réduire autant qu’il se peut à un mécanisme, à l’homme-machine dont, déjà, parlait Descartes…
Et pourtant, une faille est là, qui laisse entrevoir une lumière d’autre rive, un soupçon d’âme.

N’est-ce pas déjà par ce travail minutieux, précis et dentelé des mains ? Ce qui, pour le reste du corps, était démesure articulaire, devient pour elles décompositions maximales des possibilités de mouvement, variations infinies des manières d’entrer dans l’espace et de le faire vivre. Lointain souvenir d’une idée de Delsarte qui, il y a un siècle et demi, énonçait que la puissance expressive d’un segment corporel croissait avec son éloignement du centre… Plus que les déhanchés exagérés, c’est cette gestualité de la main et de l’avant-bras, si particulière, unique, qui frappe dès les premiers mouvements.

Et au milieu des corps en efforts constants, surgissent au fil de la pièce de subtiles nuances. Pour qui a vu McGregor danser, il devient vite clair que nous avons devant nous une palette des réceptions possibles de la gestuelle transmise par le chorégraphe. Ce sont les corps saccadés et secs de danseuses — ce sont aussi les appropriations vivantes et fluides du matériau de départ.
Et surgit soudain, dans les dernières minutes, un duo de danseurs qui se forme et de déforme et se reforme pour, sans doute, nous donner la clé de la pièce. Ils jouent de ces gestes, de l’espace et de la rencontre métrée au rythme de la musique de Jon Hopkins, ils jouent avec un plaisir évident. Ne nous suggèrent-ils que tout cela n’est peut-être qu’un immense éclat de corps, qu’un dispositif tout aussi précis que ludique ?
                               


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