Par Coline Arnaud
Grande cause nationale de 2007, cette pathologie neurologique affecte chaque année plus de 165 000 patients. Ces chiffres devraient augmenter considérablement dans les prochaines décennies, et prendre des proportions telles qu’en 2040, 1 individu sur 5 sera touché. Affectant les facultés intellectuelles et mémorielles de l’individu, elle compromet progressivement son autonomie et oblige ainsi l’entourage à une contribution d’autant plus lourde que le maintien à domicile reste une priorité pour la plupart de ces personnes.
En dépit d’une telle ampleur, et d’un service médico-social qui s’organise peu à peu, cette pathologie reste très peu connue du grand public et des institutions. C’est pourquoi le réseau Méotis, en partenariat avec l’association France Alzheimer et la cité de Saint-Etienne organisent un appel à projet dont le but est de concevoir des objets concourants à préserver l’autonomie des patients et à alléger le travail des aidants. Ces productions peuvent avoir pour champ d’application des domaines aussi variés que l’orientation, l’alimentation, l’hygiène, la communication ou l’usage des transports.
Un coup d’œil au marché actuel du design suffit à nous renseigner sur l’importance des enjeux véhiculés par un tel projet. Pourtant, il serait faux de croire que cette initiative est le résultat d’une volonté unique et providentielle. Depuis les années 2000, le design cherche à renouer avec l’un des aspects fondamentaux de sa raison d’être : l’utilitaire. Des chaises de Breuer aux lampes de Joe Colombo, les meubles et les accessoires déclinent leurs formes et leurs couleurs dans une recherche esthétique qui lie le plaisir des yeux et le confort des gestes. Quelque peu éclipsé par la tendance du design d’art, qui a permis à des chaises d’atteindre le prix d’une toile de maître, ce postulat fondamental trouve aujourd’hui un nouvel écho avec le travail des créateurs Starck et Matali Crasset.
Dans la même lignée, le concours de Saint-Etienne propose un sujet qui n’est pas sans conséquences. En effet, concevoir des objets de la vie courante pour un public de masse, c’est accepter de replacer le design au centre de ce qu’il est réellement : une pratique qui met son inventivité au service des besoins ergonomiques du plus grand nombre. Concilier éthique et esthétique dans une production péri-industrielle, ne pas avoir peur de mettre sa création à la portée de tous, c’est admettre, plus implicitement, que cette discipline est peut-être moins une pratique plastique qu’un art appliqué, tel qu’elle est d’ailleurs enseignée. Le résultat n’est donc plus une œuvre mais un objet, un accessoire, un meuble… En deux mots, un petit morceau de quotidien.
Mais les enjeux de ce concours dépassent cette revendication utilitaire et se colorent d’une mission sociale. En effet, il s’agit moins pour les créateurs de se confronter à des habitudes universelles qu’à des particularités engendrées par une maladie dégénérescente. Sonder les failles, chercher les limites, prévoir les difficultés. Autant d’obligations qui rapprochent inconsciemment celui qui crée de celui qui souffre. Surpassant la simple commande, ce travail implique chaque participant dans une démarche d’entraide où les impératifs techniques se mêlent à la conscience de la douleur du patient et du dévouement des aidants. Teintée d’un civisme qui doit moins à la politique qu’au simple respect de l’autre, cette initiative de la cité de Saint-Etienne, nous interroge : le design, nouvelle pratique engagée ?