Déléguer la fabrication de ses Å“uvres à un corps de métiers spécialisé n’est pas nouveau en art. Depuis la fin des années 1960 avec le minimalisme américain, les artistes ont mis à distance la part matérielle de leur travail pour en revendiquer l’essence intellectuelle. Si le projet Encargos dificiles du duo espagnol Bestué et Vives repose sur cette même idée de départ, il se déplace vers d’autres horizons.
Les artistes minimalistes avaient recours aux procédés de fabrication industrielle pour désubjectiviser leurs productions. Bien au contraire, le protocole de Bestué et Vives consiste à formuler une «commande difficile» à un artisan. Ainsi, les habitudes de production sont bouleversées et le maître d’ouvrage est mis dans une situation inconnue, qui l’oblige à proposer sans complexe une traduction personnelle de la commande.
L’énoncé des demandes passées par Bestué et Vives oscille entre l’idée absurde et le geste poétique. Une masseuse a massé une plaque de verre comme s’il s’agissait d’un corps. Une manucure a vernis des ongles en imitant l’aspect bétonné et granuleux du sol de la galerie. Un régisseur d’exposition a enfilé une boucle d’oreille dans le trou d’un mur. Un cordonnier a semellé une petite sculpture en forme de main.
Un tennisman a encordé une coloquinte, la métamorphosant en un objet hybride situé à mi-chemin entre la raquette et la guitare. Une maquilleuse a réalisé l’union fantastique d’un maître et de son chien, en tapissant le bras du premier des poils du second. Une couturière a détricoté un pull-over d’une grande marque de prêt-à -porter. Enfin, en écho à Rodin, un dentiste a moulé un baiser entre deux bouches. Le résultat fini de ces protocoles est exposé sous forme de photographies ou de petits objets à l’esthétique rudimentaire. Tous portent en eux la marque de la main de leur créateur.
Le ton pourrait rester celui de la plaisanterie, si l’exercice n’impliquait pas un tissu relationnel complexe. L’installation Vase en terre caressé par une danseuse acrobatique, moulé par un potier sur un tour mû par un cycliste (2010-2011) explicite de façon théâtrale cette idée. Destinée à être mise en action au cours d’une performance, elle réalise l’union de trois professionnels (une danseuse, un potier et un cycliste) dans une sorte de chorégraphie sans fin où chacun s’adonne à son savoir-faire personnel tout en concourant, par sa force de travail, à la bonne marche de l’ensemble. Entre gag et sublimation, cette installation interroge la relation de l’homme à la machine.
Loin d’une vision manichéenne, les Å“uvres de Bestué et de Vives orchestrent de nouvelles communications possibles entre l’art et la technique. Illustrent-elles une volonté de réhumaniser le travail? Toujours est-il qu’elles ont la force de rappeler la place du corps dans les activités humaines et de questionner notre rapport à l’objet fini.