Kristina Depaulis
En résonance 7
L’invitation faite à Kristina Depaulis de faire «résonner» ses oeuvres dans les différents lieux du parcours de cette année constitue, pour l’artiste, un véritable défi.
En effet, depuis qu’elle a débuté son travail de sculpture, l’artiste a toujours conçu ses oeuvres en relation étroite avec les lieux où elles furent présentées. Il lui a donc fallu penser cette présentation estivale comme une manière de réactiver des oeuvres déjà existantes dans des lieux autres –spirituels chargés d’histoire et de mémoire– que ceux pour lesquels elles furent créées.
Ses sculptures ne sont pas seulement des oeuvres à contempler, qu’on se contenterait d’admirer en tournant autour, mais des oeuvres à habiter, dont on peut momentanément se vêtir, s’habiller, pour «expérimenter» de nouvelles relations à l’espace et de nouveaux comportements.
Comme elle la présente elle-même dans un texte de 2001, sa démarche consiste en «la création d’objets qui, lorsqu’ils sont portés,
transforment la perception (visuelle, tactile, sonore…), coupent le regardeur de l’espace dans lequel il se trouve et provoquent une projection mentale dans un autre espace».
On connaît la fameuse expression de Marcel Duchamp «c’est le regardeur qui fait l’oeuvre» où l’artiste insistait sur la nécessaire relation entre l’oeuvre et le spectateur. Les propositions de Kristina Depaulis vont beaucoup plus loin et s’offrent comme un prolongement ludique et indispensable de son fameux «Prière de toucher».
Busséjoux, Chapelle du XIVe siècle remaniée aux XVIIIe siècle. Scaphandres, 2007.
Conçues, à l’origine, pour la crypte de l’Eglise de La Souterraine, ces tenues exploratoires habituellement associées à l’univers sous-marin permettent, lorsqu’on les endosse, une perception différente des lieux.
Contraints par l’enveloppe, diminués dans leurs capacités visuelles et sonores, les explorateurs provisoires doivent se concentrer pour se déplacer, attentifs au moindre détail.
Saint-Fréjoux, Mairie. Entre deux, 2006.
Deux fauteuils à bascule recouverts de skaï blanc permettent une position relaxante du corps alors que la tête est enveloppée dans un espace isolant, une sorte de casque. Chaque couvre-chef contient une maquette du sol et du plafond de l’espace d’exposition.
Ainsi, ce moment de détente et de délassement permet d’avoir accès à deux points de vue inaccessibles hors de l’usage de ces fauteuils. L’artiste insiste sur le repli apparent (évoquant une forme d’autisme) qui permet en réalité une approche plus vaste du lieu d’exposition.
Saint-Fréjoux, Grange. Expérience de vol 1, 2, et 3, 2006-2010.
Il s’agit du couplage entre une balançoire située à une trentaine de centimètres du sol et une tenue complète d’homme volant, bustier, ailes et heaume. L’expérience proposée par l’artiste tient ici à la fois du jeu de balançoire (souvent associé à l’enfance, mais pas seulement, si l’on repense à l’escarpolette d’un Watteau) et du rêve d’Icare qui fait rêver les humains depuis l’Antiquité.
Dans les esquisses préparatoires à cette oeuvre, on discerne une forme évocatrice d’une fusée, une autre proposition où le corps serait horizontal, les ailes traînant par terre, mais aussi une annotation intéressante: «le devenir aveugle de Malevitch».
Saint-Fréjoux, Église Saint-Jean. Séchoirs de corps, 2007
Inspirés des questions paradoxales de conservation des oeuvres et du taux d’hygrométrie des visiteurs, ces «séchoirs de corps» proposent une expérience horizontale où chacun peut se glisser dans un cocon d’air en respiration continue.
Placées sur la tribune de l’église d’où le point de vue est habituellement dominant, ces oeuvres offrent une nouvelle perception temporaire de l’architecture.
Saint-Éxupéry-les-Roches, Église du XIIe siècle remaniée aux XVe, XVIIe et XIXe siècles.En-placement, 2010.
Pensées pour l’exposition «Parking» (LaVitrine, Limoges), ces oeuvres en forme de lits de camp numérotés furent envisagées à l’origine pour occuper une place de parking sur la rue.
À la place d’une voiture, six corps allongés. Chaque visiteur est invité ici à choisir un emplacement dans l’église et à s’allonger temporairement pour voir d’en bas, depuis le sol, en toute quiétude, les volumes et les décors du plafond.
Ussel, Musée du Pays d’Ussel. Dortoir, 2005.
L’artiste a choisi de réactiver une partie de cette oeuvre créée à l’origine pour un ancien dortoir (devenu chambre d’hôte) à St Médard d’Excideuil. En prolongement logique de la visite du Musée et de la salle des lits-wagons, dans un espace réduit (un palier où l’on a du mal à tenir debout), ces chauffeuses
recouvertes de toiles à matelas permettent, lorsqu’on s’y allonge, un moment de repos sonorisé particulièrement évocateur.
Capteur de mémoire, 2003
Dans le jardin qui jouxte le Musée, l’artiste réactive cette sculpture créée au départ pour une exposition en extérieur sur le thème du camping (ENSA, Limoges). Le spectateur est invité à s’allonger sur le ventre sur un matelas confortable et ergonomique et à glisser sa tête dans un trou pratiqué dans le sol.
Dans cette position confortable proche de celle de l’autruche, chacun peut s’isoler provisoirement, enfouir ses soucis du moment, quitte à sembler un instant ridicule.
Babouches singer, 2010
L’artiste a travaillé avec des couturières de l’atelier municipal pour pouvoir réaliser un ensemble de paires de babouches de différentes tailles mises à disposition des visiteurs. Après s’être déchaussé, chacun peut évoluer en glissant doucement sur les parquets du musée. La visite devient plus feutrée, en résonance avec l’ancien esprit domestique des lieux.