Metteur en scène qui a connu la consécration l’an dernier au festival d’Avignon, avec sa pièce, Au moins j’aurais laissé un beau cadavre d’après Shakespeare, Vincent Macaigne vient d’un théâtre qui relève pleinement du texte, même si son travail sollicite une forte implication de la part de ses comédiens. Leurs prestations, marquées par une extrême dépense, frôlant l’épuisement, se situent à la lisière de la performance physique. Il ne faut pas pour autant faire l’amalgame avec la performance en tant que forme d’expression artistique, avec son histoire et ses moments clé bien marqués.
En Manque, présenté comme un travail en cours issu d’un laboratoire de création avec des danseurs, renvoie de par son titre à la pièce de Sarah Kane, Crave.
Seules quelques lignes du monologue y feraient référence, si n’était cette rage noire, brulée, au gout de cendres, propre à la dramaturge britannique qui aurait eu 41 ans en 2012.
Vincent Macaigne prend comme marque de fabrique cette certaine façon brutale, viscérale de s’approprier les grands classiques de la littérature européenne, que ce soit Shakespeare ou Dostoïevski. Le contraste, le clash entre les univers est à l’origine d’un déplacement surprenant et souvent salutaire. En Manque reste dans un seul registre — l’ordinaire, le quotidien anonyme, violent dans sa banalité: un couple qui se déchire, une femme qui sombre, une jeune enfant ballotée entre ses parents. Les astuces de mise en scène qui jadis travaillaient un décalage fertile entre la perspective historique, patrimoniale et des réalités qui sont les nôtres, viennent maintenant les renforcer: y a-t-il quelque chose de plus convenu que ces interminables engueulades quand cela a trait au désarroi conjugal? La platitude s’installe assez vite. Certes les interventions de Marie Thérèse Allier dans son propre rôle sont enthousiasmantes, certes nous saisissons les références à une certaine rage que porte en lui le jeune metteur en scène, aux cadavres qu’il charrie, à la souillure créatrice qui marque son théâtre et nous sommes toujours interloqués par la manière si directe qu’il a de se mettre à découvert sous les invectives de l’une de ses comédiennes.
Vincent Macaigne devient le personnage principal d’une pièce qu’il dirige à même le plateau. Il règle une chorégraphie désespérante des figurants et spectateurs campés sur les listes d’attente et donc heureux d’avoir réussi à finalement entrer, à la recherche d’une place. Il envoie des chansons qui déteignent dans la salle basse de la Ménagerie de verre, transformée pour un long moment en boite de nuit lors d’une soirée célibataire, dans une atmosphère volontiers nostalgique et ringarde. Il monte le volume en maître de cérémonies décalé et nous songeons un instant à Philippe Katerine, qui sait faire preuve d’un second degré vivifiant, à mille lieux du pathos épais et lourd d’une musique de film bourrée d’émotion qui peine à amener une fin trois fois recommencée. Il jette un à un pétards et autres artifices qui fendent l’obscurité dense, embrumée de la salle avec leur lumière vivante, festive, incontrôlable et surprenante. Des vrilles, des flammèches qui persistent avant de s’éteindre en douceur, des petites explosions et crépitements nourrissent un étrange moment de beauté explosive, à la fois concert et paysage mouvant, chargé de résidus de la violence de certains instants festifs.
Vincent Macaigne excelle dans la création de tableaux d’une grande plasticité, dans des propositions de mises en scène étonnantes qui prolifèrent de manière incontrôlée, telles ces éclaboussures de peinture qui tachent les murs et le plafond, ou l’eau qui se déverse sur la dalle de béton, semant la panique dans les gradins avant de trouver son chemin vers les égouts.
Ce sont des tropes qui reviennent de manière courante dans son travail, et cette fois-ci, en manque cruel du soutien d’un texte fort, ils pataugent entre le déjà vu et la facilité.
L’énergie des interprètes reste époustouflante, mais tous les voyants poussés au rouge convergent vers un effet de neutralisation et d’annulation réciproque. La saturation survient, implacable. Les spectateurs sont poussés dans leurs retranchements et n’ont aucun moment de répit. Le rouleau compresseur engrangé par Vincent Macaigne entraine, écrase tout sur son passage. Cette force de son travail risque bientôt d’en devenir la faille, le symptôme d’une peur de vide qui conduit à l’hystérie des moyens et des procédés. La danse, art qui relève de l’écoute et de l’attention portée aux autres, même dans ses esthétiques les plus brutales ou monomaniaques, est reléguée à une dimension de contrainte et d’obligation, évacuée de manière «démocratique» dans la séquence de boite de nuit.
L’espace de la Ménagerie de verre semble perdre ses vertus flottantes, cette densité vague propice à la rencontre des imaginaires, quand il devient la simple caisse de résonance d’une agitation furieuse qui colle sans doute de trop près à l’état de notre société: Allons au Costa Rica… !??