Il y a ce blanc immaculé, et cette pureté légère et innocente. Il y a ces traces du réel comme des ombres portées, en filigrane sur le papier photographique ou la feuille de dessin. Tout se trame, rien ne se révèle. Et c’est dans cette étrangeté qu’Amal Kenawy nous mène, dans un espace incertain, entre chien et loup.
Dans les deux vidéos présentées à la galerie La Bank, comme dans ses dessins ou ces trois imposantes photographies, le trouble règne. Dans ces mondes éthérés, seuls la ligne et les contours se dessinent, un commencement ininterrompu, une naissance inachevée.
Avec audace l’artiste s’approprie l’un des célèbres tableaux de Botticelli, La Naissance de Vénus. Mais la chevelure vénitienne est ici remplacée par un masque à gaz, les flots sont inquiétants, et déjà la douleur coule dans cette encre prune qui jaillit des organes de cette Vénus moderne rongée par un rat. On s’attaque ici au secret des secrets, à l’acte premier et fondateur, à l’origine du monde, à la matrice.
Et cette naissance, ce commencement, semble être une récurrence dans chaque œuvre de l’artiste. Un état premier et naturel que le vice vient rapidement troubler, dans une violence sourde et envahissante. Cette violence prend la forme de croquis qui se chevauchent sur un visage révulsé dans la vidéo. Elle se matérialise dans ces demi-jambes de cire appareillées dans The journey.
Mais toujours, au cœur de cette violente tache prune et de ces rats insidieux, il y a la poésie des mondes oniriques, le silence du blanc et de la transparence.
Dans l’installation Empty Skies-Wake up, la vidéo se regarde à travers la transparence d’un jet d’eau de fontaine. Dans The Journey, quelques papillons viennent se poser sur ces jambes de cire et côtoient quelques mèches de cheveux vaudous, ou peut-être déjà stigmates de l’impureté… Dans les grandes photographies qui ouvrent l’exposition, l’univers aseptisé, carrelé de blanc, renferme comme une chrysalide cette danseuse surexposée à la gestuelle gracieuse mais angoissante — cherche-t-elle à se sauver de son enclos fragile ?
Entre deux mondes et quelques flottements, on perd pied, car toute cette blancheur, qui évoque l’innocence et la pureté, prend aussi des allures morbides. La blancheur paraît alors suspecte, et chaque détail devient un signe de mauvais augure.
Crânes et coquillages rappellent les vanités, les rongeurs viennent souiller les corps, le blanc aveuglant prend des allures de dernier instant, tunnel éblouissant avant que la mémoire du réel ne s’éteigne. Une mémoire partielle et sélective qui retient ces bribes de réalité et qui ressurgissent en cauchemar dans les vidéos saccadées, aux sons décousus, comme des restes d’acouphènes.
Amal Kenawy esquisse ces portions de rêve et de mémoire, sans jamais les achever, signe de notre imagination, de notre vision subjective d’une réalité parfois cruelle et violente.
Et toujours, l’artiste en revient aux éléments premiers, la femme et la nature. Derrière cette rencontre entre l’environnement et l’humain, le réel et les rêves, s’esquissent toute une mise en scène. Chaque œuvre semble être le nœud d’une tragi-comédie, dont nous ne saurons le dénouement. Car, dans ce théâtre blanc, pour le vice comme pour la vertu, tout n’est que commencement…
Amal Kenawy
— Empty skies-Wake up. Installation, vidéo.
— You will be killed, 2006. Dessins.
— You will be killed, 2006. Animation, vidéo. 5 min 56 sec.
— The journey, 2005. Installation, sculpture en cire, tissus.
— The journey, 2005. Installation vidéo.
— The journey, 2005. Tirages couleur sous diasec.
— The purple artificial forest