Philippe SégalotÂ
Empreinte moi
«Quand Emmanuel Perrotin m’a proposé d’organiser l’exposition de mon choix dans son nouvel espace à Paris, j’ai pensé à réunir quelques uns des artistes majeurs de notre temps pour les confronter sur l’un des thèmes les plus anciens et les plus déclinés de l’histoire de l’art : le corps et son empreinte.
Depuis que l’homme existe, de Lascau au Saint Suaire, de Narcisse à Dorian Gray, il tente de capturer son empreinte.
Cette quête est encore plus forte chez le créateur dont le XXème siècle et son cortège de révolutions technologiques a sublimé plus qu’aucun autre l’imagination, la sensibilité et l’expression.
L’artiste nous offre ce qu’il a de plus intime : son empreinte, unique, authentique, fidèle, absolue, éternelle. L’empreinte trace le chemin à un autre imaginaire ; l’artiste se substitue au sujet, devenant surface et support.
«Empreinte Moi» est née d’associations d’images, celles d’une des plus belles empreintes de Yves Klein (ANT 78, Anthropologie de l’époque bleue, 1960, collection Claude Berri) et d’un rare blueprint de Robert Rauschenberg et Susan Weil réalisé sur papier photosensible exposé à la lumière (Untitled (Sue), 1949, collection Susan Weil); celle du dos encordé de Bruce Nauman (Henry Moore Bound to Fail, 1967-70, collection privée) et de la bouche grimaçante de Sarah Lucas (Where does it all end ?, 1994, collection privée, New York). J’ai également suivi les pas dans le sable de Felix Gonzalez-Torres (Untitled (Sand), 1993-94, courtesy Andre Rosen, New York) qui m’ont conduit aux panneaux de polystyrène crevassés par ceux de Rudolf Stingel (Untitled, 2000, courtesy de l’artiste et Paula Cooper Gallery, New York).
Au réalisme saisissant de Male Mannequin, 1990, de Charles Ray (The Broad Art Foundation, Santa Monica) dont l’organe a été moulé sur celui de l’artiste ou de Mask, 1987, l’empreinte du visage de Gregor Schneider (courtesy de l’artiste et Luis Campana, Cologne), s’oppose la trace insaisissable laissée par le corps de Cindy Sherman (Untitled # 168, 1987, collection Metro Pictures, New York) ou l’urine d’Andy Warhol (Oxidation Painting, 1978, collection privée).
Parfois, le corps est simplement suggéré comme dans Untitled (Portrait of Dad), 1991 où Felix Gonzalez-Torres utilise des bonbons blancs dont le poids est celui de son père comme métaphore (collection Carlos et Rosa de la Cruz, Miami).
Toute la gamme des sentiments, de la douceur à la violence, de la retenue à l’agression, de la force à l’absence, est ainsi représentée sous forme de dialogues entre les œuvres qui à la fois rassemblent et opposent leurs créateurs.
Si tant de chefs d’œuvres ont été réunis, c’est grâce aux artistes et aux collectionneurs qui ont accepté de s’en séparer le temps d’une exposition. Qu’ils en soient ici remerciés ainsi que le maître des lieux qui m’a ouvert ses portes.»
Philippe Ségalot