DANSE | SPECTACLE

Cocagne

12 Fév - 14 Fév 2019

Avec Cocagne, la chorégraphe Emmanuelle Vo-Dinh livre une pièce pour neuf danseurs autour des émotions et de leurs représentations. Une succession de fresques colorées et vives, profondément actuelles, capables de toucher immédiatement tout un chacun. Ou bien ?

Pièce pour neuf danseuses et danseurs, Cocagne (2018), d’Emmanuelle Vo-Dinh, explore par la danse les articulations entre image et émotion. Pays de Cocagne : l’expression remonte au moins au XIIe siècle. Une origine nébuleuse pour un mot désignant une sorte d’Éden, de paradis ; un lieu idéal ou règneraient joie et abondance. Si l’expression est un peu surannée, c’est aussi une image bien ancrée, dont personne ne sait trop d’où elle vient, mais que tout le monde connaît. Une forme de code culturel auquel toutes les personnes d’une même communauté sont censées réagir, sans pour autant savoir comment cette connaissance a été acquise. Images actives, les stimuli émotionnels fonctionnent un peu sur le même mode — celui de l’acquis, passant pour de l’inné. Et avec Cocagne, Emmanuelle Vo-Dinh offre ainsi une plongée dans l’herbier des images riches en émotions. Avec des fresques, en acte, dépeignant les passions actuelles.

Cocagne d’Emmanuelle Vo-Dinh : la danse pour scruter les émotions et leurs images

Haute en couleur et en expressivité, la pièce Cocagne se compose d’une succession de tableaux mobilisant les affects. Les effusions de rires, de joies, de larmes… Chacun des danseurs porte un fragment de ce qu’il faut faire pour signifier telle ou telle émotion. Expressions faciales, gestuelles, rythmes… Tout est calibré. Et lorsque les danseurs, face aux publics, sont au diapason, le collectif a alors quelque chose d’étrange. Assemblée de pleureuses, de rieurs… Affleurent des évocations allant des fresques funéraires égyptiennes aux vidéos que chacun poste sur les réseaux sociaux. Joie, bonheur, prospérité… Il y a effectivement des codes de représentation à respecter pour véhiculer tel ou tel message émotionnel. Et jouant sur la succession de ces codes, Cocagne instille du décalage, du doute. Un procédé chorégraphique qui permet de décoller l’illusion de spontanéité, pour mieux donner à percevoir la représentation. Ou ce qu’Emmanuelle Vo-Dinh nomme ‘encyclopédie fictive des passions’.

Chorégraphie expressive : plongée dans l’encyclopédie fictive des passions

Le XXe siècle a commencé avec le tournant linguistique et s’est achevé avec le tournant émotionnel. En ce début du XXIe, les émotions occupent toujours une place nodale. Avec Cocagne, Emmanuelle Vo-Dinh les explore sous l’angle de la représentation. En 1999, ses recherches l’avaient déjà conduite à effectuer un travail sur l’extase, dans le département de neurologie d’Iowa City, avec Antonio Damasio — l’un des grands théoriciens de l’émotion. Vingt ans plus tard, la recherche se poursuit du côté des jonctions entre émotions et images. Emmanuelle Vo-Dinh se réfère d’ailleurs aux travaux de Marie-José Mondzain (L’Image peut-elle tuer ?) pour présenter Cocagne. Peut-être parce que l’une des particularités des émotions, individuelles et collectives, est d’être contagieuses. Une contagion qui passe par l’image. Et à la façon du théâtre de Bertolt Brecht, Cocagne ouvre un espace laissant à chacun la possibilité de choisir son degré de distanciation, entre sympathie fusionnelle et observation.

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