Travaillant la céramique jusqu’à l’extrême, Emmanuel Boos en dévoile les fragilités, les singularités, les admirables failles. Céramiste français et voyageur (États-Unis, Corée, Chine, Allemagne, Espagne…), Emmanuel Boos est actuellement en escale à la Manufacture de Sèvres. Une résidence féconde, avec la création d’une nouvelle série : les Monolithes de Sèvres. La Galerie Jousse Entreprise – Mobilier d’architecture présente, en exclusivité, les premières pièces de cette collection. L’exposition bien nommée, « Je t’aime moi non plus », propose ainsi de découvrir les derniers fruits du rapport, presque amoureux, d’Emmanuel Boos à la matière céramique. Coulures, fissures et fentes, gonflement et ondulations… Le travail d’Emmanuel Boos illumine les défauts, les fragiles singularités de l’émail et de la céramique. Partant d’une série de monolithes de porcelaine parfaitement modelés, en forme de boîtes rectangulaires, à la fois closes et évidées, la série collectionne tous les accidents de parcours.
« Je t’aime moi non plus » d’Emmanuel Boos : la perfection des singularités
Deux monolithes distincts qui s’affaissent légèrement l’un sur l’autre, à la cuisson, pour ne plus former qu’une pièce unique ? Le baiser. Un monolithe non émaillé, à la blancheur immaculée, éventrée d’une longue fissure sensuelle ? Grande fente déhanchée. Des pièces qui s’épanchent ou gonflent, se gondolent sous l’effet de la chaleur, laissant apparaître des piqûres de corrosion ? No comment et La planche aux requins. Des cristallisations minérales donnant des résultats inattendus ? Schneekönigin [Reine des neiges] et Papillonner avec Shirley Eaton. Chaque pièce, unique, déploie ainsi sa propre personnalité matérielle. Son propre rapport au temps. Car la céramique et l’émail sont des matériaux de la durée. Le travail de la pâte (biscuit / tesson), la fabrication de l’émail à partir de pigments minéraux, la lente cuisson au four… L’exposition « Je t’aime moi non plus » s’inscrit bel et bien dans ce temps métamorphique, le retranscrit.
Les Monolithes de Sèvres : céramiques et émaux contemporains
Emmanuel Boos collectionne ainsi les imperfections de son matériau de prédilection, comme un amoureux collectionne les conquêtes bigarrées. La symbiose qui s’établit à la cuisson entre le tesson et la couverte d’émail peut échapper à l’artiste. Avec les Monolithes de Sèvres, Emmanuel Boos renonce à l’absolue maîtrise, censée être le corolaire de l’expertise. Pour mieux traquer les bifurcations, comme un amant guette la fugace apparition d’une fossette. Évitant soigneusement de dresser une typologie des défauts de fabrication, Emmanuel Boos livre plutôt une poétique de l’imperfection. Avec des pièces chargées d’histoire et de mémoire. Et renversant la quête moderne d’uniformité sérielle parfaite, l’artiste laisse à chaque monolithe la possibilité de l’étonnement singulier. Par un lent travail d’expérimentation, à la recherche de l’inconnu. L’exposition « Je t’aime moi non plus » offre ainsi le nectar de cette patiente exploration. Au plus intime des rapports entre matière, durée et mémoire.