Sara Campo
Emergences
«L’émergence c’est arriver à faire venir en conscience.» (Michel Eyquem de Montaigne)
S’agit-il d’images naissantes ou se désagrégeant? Les jeux d’échelles, l’alternance entre apparition et disparition ou encore l’investissement singulier du lieu, évoquent les processus de mémorisation et la dimension affective qui parasite la réception d’une image. De cette ambiguïté naît des impressions proches de la rêverie éveillée qui nous font apercevoir, via ces fenêtres sur le monde, une tentative de mise à plat du réel.
Mais l’artiste ne se contente pas de dévoiler des pièces inédites, elle joue aussi avec la notion d’exposition en montrant en même temps qu’elle cache. Elle amorce, avec ses installations, une esthétique du doute alimentée par l’incertitude de ce qui est vu et réellement à voir créant ainsi un brouillage rendant compte, à ses yeux, de la complexité du monde.
Sara Campo s’intéresse aux représentations conventionnelles du monde et réalise des jeux de mise à distance avec lui à travers le prisme particulier de sa formation à l’image. Les images cinématographiques, télévisuelles ou imprimées apparaissent comme autant de territoires d’investigation permettant de distiller le rapport intime, affectif que nous entretenons avec elles comme elles permettent à l’auteur, via des gestes mécaniques et minimalistes, d’entrer en introspection.
En sondant les images du réel, elle questionne en réalité son monde intérieur. Ce travail, où la création semble indissociable de la destruction, met l’accent sur l’expérimentation et c’est bien l’urgence à exprimer qui prime sur toutes démonstrations d’ordre technique ou conceptuelle.
«Lorsque j’ai su que j’allais investir l’espace29, j’ai tout de suite eu en tête une formulation que l’on utilise dans les arts pour ce type d’exercice: «la carte blanche». J’ai rapidement fait le rapprochement avec la mémoire vierge encore disponible face à la saturation d’images auxquelles nous sommes quotidiennement confrontés.
Cette réflexion étant déjà au cÅ“ur de mes images, l’enjeu était pour moi de la donner à voir également dans mon dispositif. J’ai donc imaginé des interventions graphiques directement dans l’espace dans des jeux de vide et de plein à la manière de résidus mémoriels.
Ces fragments, répondant à certaines pièces accrochées dans l’exposition, agissent pour le spectateur comme autant d’indices matérialisant l’empreinte, la trace laissée par elles dans ma mémoire et se fixent dans le même temps, dans la leur. Le visiteur est placé dans une sorte de laboratoire, un work in progress, où la part belle est faite à la recherche et à l’expérience, où les pièces en pleine élaboration, encore en gestation ou au contraire déjà à l’état de souvenirs, en train de se délabrer. C’est finalement dans cet état là qu’elles se trouvent dans la mémoire de l’artiste avant de jaillir et après s’être matérialisées.»(Sara Campo, octobre 2012)
Pendant ses études à l’école Estienne et aux Arts décoratifs de Paris, Sara Campo s’engage dans une réflexion sur le processus même d’impression. Elle tire de son passage dans ces ateliers la mise à distance de l’image via les différentes étapes de reproduction (agrandissement, séparation des couleurs) qu’elle réinvestit par la suite comme une mise à distance du réel dans son travail.
Entre caviardage et effacement, les images souvent photographiques et issues des grands médias de communication s’émancipent de leur vocation première. Elles se chargent de nouveaux enjeux avec toujours, en trame de fond, la question de l’altération provoquée par la reproduction d’image, la création par soustraction et le geste artistique comme simple révélateur.
Sara Campo crée des affiches pour la Ville de Paris ce qui lui permet de maîtriser les tenants et les aboutissants de l’image communicante qu’elle interroge dans le volet plastique de son activité. Elle donne également libre cours à ses expérimentations au sein d’un atelier collectif et participe régulièrement à des livres d’artistes et des expositions. Elle vit et travaille à Paris.