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Emballé

Dans cette performance à la fois plastique et musicale, les acteurs et le lieu sont emballés dans du plastique à bulles. Une façon de critiquer la société de consommation où tout est industrialisé, emballé, consommé, où tout, même les hommes, est converti en produit.

L’espace dédié à la performance, une pièce d’une vingtaine de mètres-carrés, est entièrement recouvert, des murs au plafond, de plastique d’emballage constitué d’une multitude de bulles d’air qui explosent sous nos pas. Cinq hommes et femmes en tee-shirt et collants, assis ou allongés par terre, sont emballés jusqu’au cou du même plastique à bulles. Leur maquillage est très blanc et ils portent sur leur tête un casque d’écoute. Leurs yeux sont fermés ou fixes. On entend une musique très contemporaine composée par Benedikt Schiefer. Cette musique est constituée de phrases en anglais, en français et en allemand, de chants d’oiseaux, de sons aigus obtenus en frottant du doigt les bords d’un verre, de voix qui résonnent, de bris d’objets en verre, d’un lointain air de ukulélé, de résonances, d’explosions. Le tout créant une atmosphère assez new-age, étrange et agréable, dans laquelle on se sent comme en apesanteur. L’atmosphère est très concentrée. Certains visiteurs marchent dans la pièce, d’autres se sont assis par terre.

Benedikt Schiefer vise, par sa musique, à faire perdre la notion de l’espace. Il mobilise pour cela des lieux aux acoustiques différentes comme la rue ou tout simplement un hall d’entrée; il expérimente également des procédés d’enregistrement, par exemple en emballant le micro.

Par cette performance intitulée Emballé, Daniel Suter critique la société de consommation où tout est industrialisé, emballé, consommé, où tout, même les hommes, est converti en produit. Dans ce cadre, le plastique à bulles acquiert une valeur symbolique, tandis que l’emballage des acteurs de la performance et la musique traduisent notre situation sociale dans laquelle la surcommation condamne les hommes à devenir de véritables produits.

Sous l’inhumain et hermétique emballage, Daniel Suter a placé des individus dont la personnalité, les sentiments, la vulnérabilité sont pris au piège de la société de consommation. La blancheur froide et poétique de leurs visages traduit leur souffrance devant la perte de l’humain. Si leur tête est la seule partie du corps à échapper au recouvrement, elle est surmontée d’un casque audio, c’est-à-dire enveloppée dans un bain sonore tout aussi froidement technologique que le plastique. Enfin, la silhouette androgyne des acteurs exprime la menace prochaine d’indistinction entre les sexes.

Pourtant, ce plastique qui symbolise l’asphyxie de l’humain est aussi fragile que ses bulles d’air qui craquent sous nos pieds. Comme pour signifier que les valeurs de la société contemporaine sont elles aussi fragiles et superficielles.

Face à cette situation, Daniel Suter et Benedikt Schiefer tentent de retrouver le chemin qui conduit à l’intérieur de chacun. C’est pourquoi les voix scandent en allemand, anglais et français un vers extrait du poème intitulé Mode d’emploi: «Il faut du temps pour regarder à l’intérieur».

Daniel Suter et Benedikt Schiefer, Emballé, 2002. Performance.

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