PHOTO

Elise Gabriel

Mathilde Le Coutour. Qu’est-ce qui t’a amenée à travailler ce matériau, le Zelfo?
Elise Gabriel. En fait, c’est un hasard… J’ai commencé à travailler le zelfo pendant mon année de Master en design à l’ENS de Cachan. Après une formation en textile à l’école Duperré, et en Design produit et Mobilier à l’école Boulle, je souhaitais faire un projet de recherche à partir d’un matériau. Au moment où je cherchais un thème de diplôme, un ancien maître de stage m’a parlé de personnes qui détenaient le brevet de cette nouvelle matière faite à base de cellulose, le Zelfo. Je les ai rencontrés. Ils étaient tout à fait ouverts à ce que quelqu’un utilise ce matériau et essaye d’en tirer des applications dans le domaine du mobilier. Ils m’ont donc donné carte blanche. C’était vraiment un cadre idéal pour commencer à travailler.

Tu présentes sur le stand du Via une chaise, une lampe et des tréteaux. Comment le zelfo intervient-il dans ces objets?

Elise Gabriel. Au début, j’ai dû faire beaucoup de tests, ne connaissant pas les caractéristiques mécaniques du matériau. Puis, au fur et à mesure de mes recherches, j’ai appris à valoriser certains aspects du Zelfo, ses propriétés d’opalescence ou ce que j’appelle, par exemple, sa « qualité d’étreinte ». La chaise et les tréteaux sont assemblés grâce à une application de Zelfo encore humide, posée sur les intersections des différents morceaux de bois. En séchant, la matière réduit de 70% et vient emprisonner les éléments, l’objet trouvant ainsi sa rigidité. Pour la chaise notamment, il a fallu travailler vraiment les qualités structurelles du matériau, accentuer la triangulation sur les pieds et le dossier, pour renforcer au maximum la résistance de l’objet. Les éléments en bois ne sont ni collés, ni vissés, ils ne tiennent que par le Zelfo. Cet assemblage est, étonnamment, aussi résistant qu’un assemblage classique.

Le Zelfo a donc été d’abord utilisé pour ses qualités techniques et structurelles. Mais on ne peut s’empêcher d’apprécier aussi l’esthétique de tes projets, preuve d’une approche sensible du matériau…

Elise Gabriel. Effectivement, et cet aspect découle pour moi du matériau même. C’est le Zelfo qui m’a emmenée vers un certain type de formes. Mes premiers dessins ont très vite été modifiés par les tests et les différents prototypes. Ça a été un aller-retour incessant entre les deux C’était impossible, par exemple, de dessiner des choses très anguleuses ou très lisses, le Zelfo travaillant sur des formes curvilignes, avec un aspect toujours irrégulier, brut. Finalement, d’une certaine manière, le champ formel à ma disposition était assez réduit.

Comment s’est passée ta rencontre avec le Via?
Elise Gabriel. J’ai eu la chance que Michel Bouisson, chargé des aides à la création au Via, fasse partie de mon jury de diplôme. Le Via a la vocation, dans le cadre du «Projet Partenariat», de mettre en relation un designer et une entreprise innovante. Or ici le projet était déjà amorcé avec le fabricant, la rencontre était déjà faite. Il m’a alors été demandé de redessiner ma gamme d’objets dans une perspective industrielle, de la simplifier, de la rationaliser dans le sens de la production.

C’est à la suite de cette rencontre qu’est né le projet de la chaise…
Elise Gabriel. Quand on m’a demandé de réfléchir à une chaise, j’ai trouvé ça un peu ambitieux, mais je n’ai pas voulu dire non avant d’essayer. Pendant mon année de master, j’avais déjà fait des propositions d’assises, mais mes tuteurs, Erwan Bouroullec et Benjamin Graindorge, m’avaient dit: tu feras une chaise un peu plus tard, quand tu seras grande ! Après mon diplôme, on a fait des tests, et une solution est apparue. Une fois finie, j’ai montré la chaise à mes tuteurs, et elle leur a plu.

Tu as travaillé en partenariat avec le fabricant The Green Factory, qui détient le brevet de mise en œuvre du matériau. Comment s’est déroulée la réalisation des prototypes?
Elise Gabriel. Cela s’est passé en plusieurs temps: d’abord à l’école où j’ai développé moi-même les prototypes des tréteaux et de la lampe, avec les moyens du bord, aidée des amis et de la famille… Ensuite, quand on a commencé à travailler avec le Via, c’est l’entreprise partenaire, la Green Factory, qui a financé les prototypes dans le cadre du «Projet Partenariat». On a fait appel à un prototypiste pour faire évoluer le projet et dépasser le stade «bricolage»… Il a réalisé toutes les pièces matrices, mais finalement c’est moi qui ai travaillé les parties en Zelfo… La veille de l’ouverture de l’exposition sur le stand du Via, toutes les pièces finissaient de sécher chez moi!

En passant par ce stade du fait main, y a–t-il aussi une volonté de se rapprocher de l’artisanat?
Elise Gabriel. L’enjeu, avec ce travail, était surtout d’aller vers une production plus industrielle. Ce qui n’a encore jamais été le cas avec cette matière-là. En dessinant les objets j’ai toujours réfléchi à ça. C’est une matière très expressive, on pourrait faire beaucoup de choses avec, mais j’ai essayé de la cadrer, de penser à des principes de matrice, de structure qui permettent une fabrication en série. Pour le moment on n’a pas trouvé d’autre procédé que la main, mais on va essayer de faire fabriquer ces objets pour une production en petite série. On pourrait ainsi envisager une dizaine, une vingtaine de chaises. Un jour le Zelfo trouvera forcément des applications industrielles, mais plus certainement dans d’autres domaines, qui n’ont rien à voir avec le mobilier.

Quels sont tes projets en cours ou à venir?
Elise Gabriel. On continue à développer le projet avec la Green Factory, en cherchant des moyens de production. Il ne s’agit pas de redessiner les objets mais plutôt de faire de la mise au point, ou de penser à des déclinaisons. A côté de ce travail, j’ai envie de relancer d’autres projets: récemment j’ai organisé des ateliers pour enfants au Mac Val, et cette année je vais faire des workshops au Centre Pompidou. Si tout va bien je vais aussi travailler en indépendante pour le studio design de Jean Nouvel. Cela me plaît de faire des choses différentes, et de voir comment elles peuvent se mettre en place les unes à côté des autres…

Elise Gabriel et The Green Factory
L’Etreinte du Zelfo, lampes détail, 2010. Projet partenarial Via. Zelfo, bois.
L’Etreinte du Zelfo, tréteaux, 2010. Projet Partenarial Via. Zelfo, bois.
L’Etreinte du Zelfo, tréteaux, 2010. Projet Partenarial Via. Zelfo, bois.
L’Etreinte du Zelfo, chaise, 2010. Projet Partenarial Via. Zelfo, bois.
L’Etreinte du Zelfo, lampes, 2010. Projet Partenarial Via. Zelfo, bois.
L’Etreinte du Zelfo, tréteaux détail, 2010. Projet Partenarial Via. Zelfo, bois.

AUTRES EVENEMENTS PHOTO