ÉCHOS
01 Jan 2002

Électrochoc à la télévision: la banalité du mal

Électrochoc dans le monde du petit écran: France 2 a réalisé un documentaire reproduisant l’expérience de Milgram — surnommée «expérience de la banalité du mal» — à l’échelle de la télé-réalité, remettant en question les enjeux et la place de la télévision dans notre quotidien.

Par Alice Groult

Fin 2009, France 2 diffusera un documentaire, X-trême, qui reproduit une expérience de psychologie sociale: il s’agit ici d’un pseudo «jeu», où les candidats croient infliger des chocs électriques aux perdants.
Libération révèle dans son édition du 25 avril 2009 les ficelles du documentaire, qui promet déjà de faire date. Le réalisateur Christophe Nick entend dénoncer la télé-réalité en mettant en scène des candidats totalement soumis à l’autorité d’un animateur de télévision.

Entre 1960 et 1963, Stanley Milgram, psychologue américain, mène une série de tests sur 600 cobayes, visant à estimer le niveau d’obéissance qu’un individu peut avoir face à une autorité jugée légitime (la science, par exemple), notamment lorsque se posent des problèmes de conscience. Jusqu’où l’homme peut-il aller pour obéir à un ordre sous une responsabilité autre que la sienne?
A l’époque où le monde entier se relève de la Seconde Guerre mondiale et s’interroge sur les raisons qui ont poussé un peuple à pratiquer le génocide sur un autre, l’expérience de Milgram produit — et produit encore — beaucoup de remous dans l’opinion publique.

Car, dans le cadre d’un laboratoire universitaire, et sous le prétexte d’une batterie de tests sur la mémoire humaine, des cobayes doivent infliger à une personne — un acteur en réalité — des chocs électriques de plus en plus forts au fur et à mesure des mauvaises réponses. Malgré les protestations, les cris et les expressions de douleur de la part de l’acteur, le scientifique encourage le cobaye à poursuivre l’expérience. Résultat: 62,5% vont jusqu’au bout et font subir des chocs de 480 volts à leur congénère.

Cette expérience a donc été reproduite aujourd’hui par la télévision. Sous les yeux d’un public complice et sous les directives d’une animatrice, il apparaît que 80% des candidats, cette fois, sont allés jusqu’au bout…  Soulignons simplement que l’expérience a été menée selon le même protocole, sous l’égide de Jean-Léon Beauvois, professeur de psychologie sociale, et Didier Courbet, chercheur en sciences de l’information et de la communication. 

La télévision aurait-elle donc plus d’autorité, de nos jours, que n’importe quelle hiérarchie? Le réalisateur ne mâche pas ses mots: «L’univers de la violence réelle a quitté le champ du JT pour investir celui du divertissement, je veux démontrer que la télé peut faire n’importe quoi».

C’est donc du jamais vu, d’autant qu’ici la télévision se dénonce elle-même, cherche à s’éduquer elle-même, et s’effraie elle-même. Celle qu’on appelle parfois le huitième art, au même titre que la photographie, connaît sans nul doute ses impacts sur la société. C’est la première fois qu’elle les mesure, et nous invite à les mesurer avec elle.

Lire: Libération (25 avril 2009)

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