Ballet contemporain créé pour les Cullbergbaletten [Ballets Cullberg, Suède], Near (2018) jongle avec la possibilité de l’intime. Composé par la chorégraphe états-unienne Eleanor Bauer (Cie Good Move), en compagnie du musicien hip-hopeur suédois Jonatan Leandoer HÃ¥stad (alias Yung Lean), Near a des allures de nulle-part. Rendez-vous improbable fixé dans un incalculable lieu, Near cultive l’hallucination. Au plus proche du néant, très loin, à la limite du reconnaissable. Ici ? Partout ? Ailleurs ? Near [Près]. Pièce pour douze danseurs, le rap mélancolique de Yung Lean y dessine un paysage anachronique. Et tandis que les néons et couleurs flashy acidulées des vêtements et survêtements des danseurs contrastent avec la pénombre de la scène, s’esquisse une atmosphère mi-impersonnelle, mi-intimiste. Lentement, doucement, les mouvements se déploient et peuplent l’espace. Comme la voix hypnotique du crooner désespéré, avec son chant de sirène sous antidépresseurs. Ballet à la sensualité post-libido, Near cultive le trouble.
Near d’Eleanor Bauer pour le Ballet Cullberg : une balade hip-hop mélancolique
Spectacle de l’entre-deux, entre nature et civilisation, concert de musique et narration chorégraphique, autopsie maladroite et rêve cinématographique… La pièce Near reflète quelque chose du monde contemporain. De son flottement indécis face à la perspective de fin d’un monde. Agir ? Mais il est probablement déjà trop tard. Danser en profitant des derniers instants ? Mais où trouver le cœur de se réjouir ? Et comme dans les films Damnation (Béla Tarr, 1988) ou Melancholia (Lars von Trier, 2011), il reste du plaisir dans la possibilité de partager cette sensation d’incalculable perte. Et se présentant comme un dévoilement 100% sincère mais jamais familier, intime mais jamais confortable, Near reflète quelque chose de cette époque où l’intimité n’existe pas. En l’absence de mystère et d’émerveillement, comment conjurer l’anesthésie ? La pièce Near fait le pari de l’infra-mince. Si tout est prévisible, les micro-variations recèlent encore la saveur de l’imprévu.
Eleanor Bauer et Yung Lean : entre concert (rap suédois) et ballet contemporain
Faisant le choix de l’inconfort, Near peuple l’entre-deux. Comme un pantalon trop court ou une paire de chaussures mal ajustées. Seule façon, peut-être, de rester attentif aux différences. Spleen sans laudanum, flotte dans Near un doux parfum de rêve éveillé. Titre en forme de paradoxe de Zénon, Near dépeint une proximité toujours plus proche, mais impossible à atteindre. À l’instar d’une parfaite connaissance de l’autre, ou de soi. Pièce chorégraphique et musicale tendue entre ces deux langueurs frustrées, Near cultive une sensualité du flottement. Et comme deux étranges jumeaux, Eleanor Bauer et Yung Lean livrent un ballet qui n’a rien de classique. Romantisme contemporain, Werther s’allume à la cocaïne et s’éteint au Xanax. Tandis que la ballerine court-circuite la virtuosité pour partir à la recherche des bases. Un retour aux sources, en somme, à retrouver en première française durant les Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis.