ART | CRITIQUE

Eija-Liisa Ahtila

PMuriel Denet
@12 Jan 2008

Deux installations vidéos dont les matériaux premiers sont des psychoses de jeunes femmes. Où le spectateur est directement sollicité et emporté entre raison et déraison.

Pour cette première exposition à la galerie Marian Goodman, Eija-Liisa Ahtila présente deux installations vidéos récentes, qui s’inscrivent dans le droit fil du travail de ces dernières années, dont les matériaux premiers sont des psychoses de jeunes femmes.

Dans la salle du rez-de-chaussée, l’installation The Present disperse cinq moniteurs 16/9, qui chacun diffuse en boucle un très court-métrage. Avec l’efficacité dramatique coutumière à l’artiste, le décor est planté d’entrée, l’intrigue, voire le suspense, est immédiatement portée à son paroxysme par l’étrangeté du comportement d’une femme jeune, qui se compromet à traverser un pont à quatre pattes, ou à s’allonger dans une flaque d’eau.
Mais les héroïnes s’en expliquent. S’adressant au spectateur, elles en augmentent le trouble en retournant le genre quasi fantastique du début en reality show télévisuel. Avec un détachement déconcertant, elles exposent les symptômes d’un dérèglement, l’esquisse de l’histoire d’une folie. L’absence de dénouement, et la juxtaposition d’une apparente lucidité avec l’impossibilité patente de se conformer à des normes, provoquent une tension entre raison et déraison, qui en dilue la limite.
A regarder le visiteur, on mesure encore combien elle est ténue, et mouvante. Confronté à plusieurs écrans, qui s’affichent monochromes, et silencieux, pendant un temps indéterminé entre chaque diffusion, le spectateur indécis offre le spectacle d’un étrange pas de deux solitaire, avant de s’immobiliser enfin devant l’un d’eux.

L’installation The Wind, au sous-sol, est de ce point de vue plus rassurante. Dans ce théâtre rouge et obscur, sa place est clairement assignée au spectateur devant une scène composée d’un triptyque d’écrans de grandes dimensions.
Ce dispositif, spectaculaire et riche d’un fort potentiel plastique, est maîtrisé avec une perfection proche de l’ascèse. La fluidité du montage emporte implacablement dans la folie, froide et déterminée, d’une jeune femme, qui devient un révélateur puissant de la difficulté à être, dans le monde, et dans le regard des autres. Selon un procédé scénaristique inverse à celui des courts-métrages de The Present, le film bascule dans le fantastique, jusqu’à une métamorphose kafkaïenne, une fuite hors du réel de la «colère et [de] la mélancolie» incarnées.

Eija-Liisa Ahtila
— The Present, 2001. Installation, moniteur et DVD.
Cinq parties:
— Underworld/Alamaalina. 1 mn 13 s
— Ground Control. 1 mn 28 s.
— The Wind/Tuuli. 1 mn 33 s.
— The bridge/Silta. 1 mn 35 s.
— The House/Talo. 2 mn.

— Give Yourself a Present, Forgive Yourself. Cinq couvertures avec texte. Laine et coton. 180 x 120 cm, chaque.

— The Wind/Tuuli, 2002. Installation, trois écrans, DVD. 14 mn 20s.

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