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Eightball

Eightball, c’est le nom de cette boule magique censée, lorsqu’on la secoue, prédire l’avenir par des formules péremptoires. Eightball, c’est aussi (mais l’un ne va pas sans l’autre) le nom du magazine dans lequel Daniel Clowes fait ses premières armes, celui dans lequel il ajustera son style et créera sous la forme d’un feuilleton dessinée le fameux Ghost World qu’il adaptera ensuite en 2001 pour le cinéma.

Une somme essentielle donc pour saisir la densité du travail de l’Américain, l’un des auteurs les plus inspirés outre-Atlantique. On y retrouve des constantes, notamment son double dessiné, un homme malingre et sexuellement perturbé, seul au monde face à la bêtise humaine, un rameur à contre-courant bataillant face à une Amérique puritaine engluée dans des conventions morales trop encombrantes.

D’autres personnages peuplent ses histoires. Les filles, soit trop artificielles, soit trop laides; le duo improbable formé par Zubrick, l’intello en retrait du monde et Pogeybait, le compagnon plutôt lourdingue; les habitants de Chicago également, la foule des anonymes que Daniel Clowes dessine généralement névrosés ou en sosie de Jim Belushi, cet acteur au charme ringard natif de la cité; enfin Chicago elle-même, la métropole grise nourrie au sein par l’industrie de l’acier et de la finance, la ville de l’underground américain chevillée à gauche.
Chicago que prolos, satanistes, hippies, sportifs et artistes de tous bords ébauchent à grands traits, projetant sur la ville cette tentation permanente de l’échec mâtiné de suffisance. Tentation propre au style de Daniel Clowes comme à la nature des Chicagoans.

Dans cette trentaine de récit épiques, Daniel Clowes surexpose les caractères, grossit les traits de ses personnages pour en faire des trop-tendres ou des trop-corrompus. Parfois les deux. Les paradoxes épaississent les histoires qui brillent d’un humour toujours tenté par le pathos.
Le rire de Daniel Clowes a toujours à voir avec les faiblesses de ses semblables. Sa férocité et le plaisir qu’il prend à dépeindre la médiocrité éclaboussent la face de l’Amérique Old Style et New Style, autant que la sienne.

Daniel Clowes, c’est le rire de l’auto-dérision, un rire cynique, fieleux, aburde et par moment carrément bêta pour un dessin qui arpente le terrain du comic-book, les Katzenjammer Kids de Rudolph Dirks ou, plus récemment, la satire d’un Robert Crumb avec lequel il cultive cette veine de l’antihéros que l’on aime détester.

Mais contrairement à Crumb qui, au-delà de ces personnages en marge, esquisse une forme de nostalgie terrienne, Daniel Clowes embarque son lecteur dans les excès et le nombrilisme de la contre-culture américaine des vingt dernières années à laquelle lui-même s’identifie. Une contre-culture qui se frotterait ici à la banalité du quotidien, à la tragique normalité de la vie dans une Amérique déconfite, sans conviction ni inspiration. Un peu comme si Clowes avait joué le destin du pays en remuant frénétiquement la «Magic Eight Ball» et que, par bonheur pour ses lecteurs, il avait perdu.

Daniel Clowes
— Eightball, 2009. Edition Cornélius. 125 pages couleur et Noir et blanc.

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