Fiona jardine et Lili Reynaud Dewar : « Eggnogs and flips »
Public
L’événement
Communiqué de presse (par Émile Renard)
« Eggnogs and Flips » est le nom d’un cocktail à l’œuf typiquement british dont la recette n’est plus connue que de rares barmen connaisseurs. C’est aussi le titre énigmatique de l’exposition de Fiona Jardine et Lili Reynaud Dewar à Public>. Flip, c’est la pichenette, à l’image du geste qui pousse le jaune d’œuf dans l’alcool. C’est aussi le revers, l’autre face. Sur la base de ce mot, la structure même de l’exposition peut être reliée à ce geste habile. Le flip tient dans le choix aussi bien conceptuel qu’arbitraire d’agencer l’exposition selon une symétrie en miroir. La symétrie est construite autour d’une diagonale abstraite tracée dans l’espace. Appliquée avec rigueur, elle impose de l’extérieur une articulation binaire à des œuvres très différentes. Contrainte formelle efficace, la symétrie en miroir crée l’image globale d’un décor redoublé. ?
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Doubler une œuvre d’art, c’est déjà entrer dans une série en en postulant la reproductibilité technique. Mais chaque doublure étant ici le reflet de l’autre, les « couples » sont imparfaitement identiques. Fiona Jardine et Lili Reynaud Dewar, l’une peintre, l’autre sculpteur, ont en commun d’utiliser des procédés manuels au service de finis précis à l’aspect usiné. Cette manipulation n’exclut donc pas de légères imperfections de surface. Les artistes jouent manifestement avec cette contradiction apparente à produire à la main en série des objets lisses à la manière d’artisans qui auraient l’usine pour idéal.?
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Fiona Jardine utilise des supports facilement reproductibles tels que posters imprimés ou wall paintings. Ses compositions empruntent leurs motifs à l’imagerie publicitaire du luxe (packagings de parfums, design high tech, plantes exotiques rares) et combinent des matériaux contrastés : dessins, collages et découpages minutieux d’images en couleurs, photocopies noir et blanc détourées, dégradés peints à la gouache, aplats de faux bois… Dans ses posters, des objets flottent sur des fonds indéterminés, les couches successives étant unifiées ensuite par l’impression. La composition acquiert alors un aspect digitalisé au charme suranné typique d’un usage immodéré de l’outil lasso sur Photoshop. Sur les murs de l’exposition, un wall drawing biface dessine les contours d’une féminité exacerbée : des jambes en marche chaussées de hauts talons, écrasant l’ensemble de leur présence massive. Posée sur une trame de lignes géométriques aux couleurs pastelles, l’image évoque globalement le stylisme des accessoires de tennis pour jeunes filles. Agrandie aux dimensions du mur, la figuration vire en un motif purement graphique. L’image joue sur une tension entre le choix précis d’une image figurative empruntée au répertoire de la mode et un graphisme hyper stylisé aux priorités purement ornementales. ?
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Sur ces murs, deux longs reliefs monochromes semblent léviter. Carabo Carabo sont deux sculptures de Lili Reynaud Dewar dont le titre est emprunté à leur modèle d’origine, la voiture de sport éponyme conçue par les studios Bertone en 1968. Les lignes de cette voiture ultra sophistiquée obéissent à une rigueur fonctionnelle et incarnent une vision datée d’un design futuriste. Reproduction à l’échelle un, la sculpture a englobé son modèle au point de le déplacer dans une représentation biface, en coupe, légèrement surélevée. Version sculpture, la forme est réduite à l’essentiel et rien ne permet plus de l’identifier à une voiture. La Carabo de Bertone s’est éloignée dans une représentation sculpturale. Elle n’est plus qu’un motif opaque vidé de ses détails techniques. Retour à l’état non fonctionnel de l’objet dans une exposition d’art, les deux masses ont perdu leur force d’action et entrent dans un mode générique plus proche du projet, du moule ou de la silhouette : une abstraction sortie de la rigidité de la matière carrossable, un relief uni, anti-fonctionnel, anti-design. Il n’est pas innocent qu’une artiste femme prenne pour modèle cet objet incarnant une vision sexiste du désir féminin pour la machine. Elle condense le fonctionnalisme de son design industriel en les lignes fortes le pliant ainsi à d’autres codes prioritaires : ceux de la sculpture dite moderne alliée à la décoration d’intérieur. Le futurisme sexy et sportif des années 70 est passé au filtre des normes ornementales de la sculpture d’intérieur doublées d’un ordre artisanal au minimalisme cistercien. L’objet catalyseur de ces tendances opposées est une sculpture fragile, matte, d’un jaune passablement désincarné à la surface poreuse, presque poudrée. ?
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Au sol, deux boules identiques respectivement intitulées Objet d’Intérieur pour la Floride et Objet d’Intérieur pour l’Arizona sont un autre genre d’unité matériologique, à la nuance près qu’elles sont composées d’un matériaux mixte : des couches compactes de contreplaqué. Cette forme géométrique simple à motif strié et son procédé de fabrication systématique permet un doublon formellement parfait (à l’exception près que l’une d’elles cache une légère marque de distinction : une bande brune de plexis teinté à ces couleurs). Réalisées avec des matériaux communs de construction qui sont ensuite travaillés, tournés, polis avec minutie dans un processus sculptural classique, ces deux sculptures en bois sont aussi des objets démesurés de décoration d’intérieur, précieux, chaleureux, pratiques même. Étrange synthèse entre des codes de la sculpture et du décoratif, elles ouvrent un genre nouveau : celui de la « sculpture d’intérieur » dont plus la modeste charge programmatique serait d’être assortie aux tonalités colorées d’un appartement typiquement côte Est américaine… ?
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L’exposition amplifie les contrastes esthétiques qui tirent l’ensemble aussi bien du côté du caprice décoratif que de la réflexion critique sur les codes du décoratif en sculpture et en peinture. Cette exposition affirme sa force d’apparat dans un jeu d’agencement entre silhouettes d’objets et lignes graphiques. ?
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Les deux artistes usent de formes spécifiques issues du design ou de l’imagerie de consommation de luxe à la manière de modèles pour leurs œuvres.
Décontextualisés, ces modèles d’origine ont la particularité de s’adapter facilement au champ de l’art : leurs formes et leurs motifs glissent sur les codes admis en sculpture et en peinture. Leurs œuvres sont alors le terrain d’expériences sur le modèle, la couleur, la forme, le dispositif. Elles synthétisent le pouvoir de séduction de leurs univers d’origines et un idéal moderniste inscrivant l’autonomie de l’œuvre dans des problématiques propres au médium. Leurs œuvres, dans une relation très opaque à leur modèle d’origine, portent l’histoire de leur dérivés formels. Cette réflexion sur la sculpture et la peinture en elles-mêmes et sur leurs poncifs, passe par des usages subjectifs et anecdotiques de l’objet. L’exposition renvoie directement à l’usage bourgeois d’un art abstrait décoratif rehaussé, avec un certain humour, par l’usage de matériaux contemporains. Ces œuvres quasi-abstraites à l’accroche figurative n’hésitent pas à plonger dans des délires ornementaux ou des maniérismes de fabrique. Les procédés critiques mis en œuvre dans cette exposition jouent avec une pointe d’ironie sur cette catégorie de l’exposition d’intérieur.
Les artistes
>Fiona Jardine vit à Glasgow. ?
>Lili Reynaud Dewar vit à Nantes où elle suit le post diplôme de l’Ecole des Beaux Arts. ?
Partenaires
Public bénéficie du soutien de la DRAC Ile-de-France et de la Mairie de Paris.
Infos pratiques
> Lieu
Public
4, impasse Beaubourg. Paris 3e
M° Rambuteau
> Horaires
jeudi, vendredi et samedi de 15h à 19h
> Contact
T. 01 42 71 49 51
> Entrée libre
critique
Lili Reynaud Dewar. Eggnogs and Flips