ART | CRITIQUE

Effets et conséquences de la mécanique des fluides

PAurélie Bousquet
@28 Avr 2009

Un doux parfum sucré plane dans la galerie Jean Brolly qui accueille pour la première fois une exposition de Paul-Armand Gette, hommage aux déesses et aux nymphes. Une visite sous le signe de l’érotisme, de la sexualité et de la poésie.

Mylène Duc

Effets et conséquences de la mécanique des fluides, première exposition de Paul-Armand Gette à la galerie Jean Brolly, se déploie autour d’Offrande à Aphrodite (L’Apothéose des fraises). Cette pièce est composée de deux ensembles : au mur, un tirage sur PVC de 2,60 m, et devant celui-ci, deux socles, sur lesquels sont posés un bloc-sculpture de dacite ainsi que trois coupes contenant des fraises, des pétales rosés et du coulis de fraise.

Le soir du vernissage Paul-Armand Gette a ensorcelé le public avec cette pièce, lors de l’apothéose des fraises. L’offrande a été rejouée et filmée le vendredi 10 avril, dans une ambiance détendue.

A 13h30 précises, Paul-Armand Gette et Tomoko Sengoku  prennent place devant l’Aphrodite de presque trois mètres.  Les invités sont silencieux. L’artiste est concentré. Debout autour de la roche vocalique, leurs regards se perdent l’un dans l’autre. Paul-Armand Gette dépose quelques fraises dans les mains de sa complice, les écrase puis les fait tomber sur la roche. Vient ensuite le coulis de fraise qui diffuse une odeur  agréable dans la galerie.
Paul-Armand Gette et Tomoko Sengoku sont calmes ; leurs gestes sont délicats. La roche est rougie par les fraises. Viennent clore ce moment rare, de fragiles pétales déposés avec grâce au sommet de la roche. En silence, Paul-Armand Gette s’empare ensuite de la coupe de fraises et offre le contenu aux invités,  troublés et charmés.

Nympholepsie
A travers cette performance et cette exposition, il s’agit bien d’un hommage aux déesses et aux nymphes, en l’occurrence Aphrodite, Vénus, Artémis, Eve. Paul-Armand Gette les laisse s’exprimer à l’œuvre, les soulage d’un trop long repos. Il les baigne, les cache un peu de la vue de tous, en même temps qu’il les expose. Il leur permet de briller à nouveau dans un anonymat bienveillant. On est vraiment ici dans l’expérience nympholeptique.

Dans ses textes comme dans les œuvres plastiques qu’il présente à la Galerie Jean Brolly, Paul-Armand Gette prend de grandes libertés face aux mythes dont il s’inspire. Les mythologies sont apprivoisées. En recréant le mythe selon ses convenances, il ouvre un désir nouveau: le sien, celui du modèle, celui du spectateur. Ici, les cascades sont habitées par la déesse qui «y baignait ses nymphes ou se baignait avec, ce qui ne change pas grand-chose»,# ce qui précisément change tout s’il le souligne.

Chez Paul-Armand Gette les fluides sont sucrés, les sucreries sexuelles, les sexes anguleux comme les gemmes. Les arbres cachent les muses. Les triangles sont des zones (des délimitations) du paysage corporel des muses, des saillies identiques qu’elles soient produites du geste de la main qui les dessine ou circonscrites par le cadrage photographique.
Paul-Armand Gette photographie des coulées de laves, des volcans comme un mouvement proprement sans terme comme celui des fluides dont il veut nous entretenir : ses photos présentent des pièces rapportées, tout se porte au dehors, tout tend à jaillir en substance.

Certains objets sont les indices de l’existence effacée de la nymphe: cette fois pas de loukoums, mais des fraises, des coquillages, des croissants de lunes. Dans Marie-Eve ou la naissance de Vénus, en présentant simultanément le mystère des nymphes et la nature de ses modèles bien humains, Paul-Armand Gette superpose l’effacé et le manifeste. Il donne une réponse à l’existence en laissant être les nymphettes et les choses dans le plaisir qu’il présente. Il traite l’épaisseur et la monumentalité d’un mystère de l’exister à travers la légèreté d’une apparence féminine.
La lune, d’un rose si cher à Gette, est le reste que la nymphe a laissé sur l’arbre. Le modèle choisit parfois les objets ou les éléments qui figureront sur son corps et sur la photographie. Son choix de les emmener lors de la prise de vue est déterminent dans l’émergence du plaisir, dans le processus ainsi que dans l’œuvre finale.

La nymphe permet de différer le rapport à l’image. L’apparence féminine corporelle dans l’image est indicielle de la divinité qui s’incarne en elle. Le corps féminin change d’identité, et même d’état. De mortel il devient divin sans qu’il y ait une quelconque sublimation. Cette divinité est accessible. Seule l’enveloppe corporelle du modèle subsiste pourrait-on dire pour donner une chair à la divinité.

Chez Paul-Armand Gette, la féminité s’insinue dans les concepts souvent scientifiques ou mythologiques pour s’y mêler avec grâce et facilité. Il lui fait cette faveur de la fondre dans le végétal pour qu’elle puisse se libérer de toute prise avec son identité sociale habituelle ennuyeuse. Dans Fontis nympha…, l’artiste évoque non pas le désir de la voir nue mais bien l’évanouissement de la déesse sur la roche, cette dernière prenant la forme des éléments naturels qui l’entourent par mimétisme. Il n’y a pourtant aucun manque malgré cet effacement. Ses nymphettes ont la simplicité troublante et charmante d’être ce qui, par leur pose, est là le plus évidement.

Si Paul-Armand Gette apparaît dans certaines pièces, et touche subrepticement le modèle,  toujours il s’efface au mieux, afin de laisser être son modèle. La clé de l’érotisme de ses œuvres réside certainement dans cet aspect essentiel de son travail. Un perpétuel recouvrement décille le spectateur: Paul-Armand Gette recouvre la nymphette pour mieux découvrir la nymphe, afin que la déesse se manifeste dans l’abandon de l’ego que nécessite cette naissance.

Paul-Armand Gette
— Aphrodite déchirée, 2009. Collage sur peinture acrylique. 75 x 55 cm
— Quelques effets du volcanisme I, 2009. Collage sur peinture acrylique. 55 x 75 cm
— Quelques effets du volcanisme II, 2009. Collage sur peinture acrylique. 55 x 75 cm
— Fontis Nympha… 1998-2005. 2 photographies couleur (74 x 58 cm & 48 x 75 cm Enna). Calcaire gravé 18 x 52 x 2 cm
— Intéressante Formation volcano-sédimentaire, 2005. Photographie couleur – 58 x 74 cm. Tirage unique
— Offrande à Aphrodite (L’apothéose des fraises), 2009. Jet d’encre sur PVC – 260 x 198 cm. Bloc sculpture, dacite de Lessine – 32 x 40 x 21 cm
— Les Divines Jambes d’Artémis, 2003. 2 photographies couleur. 60 x 50 cm chaque.
— Marie-Eve, ou la Naissance de Vénus, 1992. 2 photographies couleur – 17,5 x 24 cm chacune.
— Soulagements d’Arthémis, 2008. Encre sur papier – 5 dessins. 50 x 65 cm
— Mind the Volcano / What Volcano, 2001. Encre sur papier – 5 dessins. 50 x 65 cm
— Du soulagement à la Baie des Anges, 2009 (vitrine). 177 x 49 x 45 cm
— La Cascade des nymphes, 2005. Photographie couleur – 74 x 58 cm.
— Sans titre, 1999. Encre de chine et acrylique sur papier. 79 x 70 cm
— Joan et la balançoire, 1981. 2 photographies n/b. 39 x 33 cm chacune
— La Coupe d’Aphrodite,  2009. Cristal et bronze. Ht. 11 cm Diam. 18 cm

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