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Eden

PMarine Drouin
@20 Mar 2009

Membres de l’atelier de design culinaire de Marc Bretillot, Julie Rothhahn et Lily Monsaingeon présentent leurs recherches à la galerie Fraîch’Attitude, qui allie les plaisirs de la bouche et des yeux. Kitchen Paradise ou comment réenchanter nos tables... Une expérience qui montre ce tandem plus à l’aise à la création de produits ou à leur usage performatif qu’à l’exposition de leurs projets.

Trois réalisations nous sont présentées, dont les principes sont déjà en cours d’application commerciale.

Sans hésiter, les vedettes de l’exposition sont les « outils du pêché » : de petits burgers expérimentaux, des « fruits défendus », des légumes pris en sandwich entre les deux coques moulées, puis éditées en porcelaine d’un fenouil, d’un poivron ou encore d’un pamplemousse. Les concentrés de délices dont on aurait ouvert l’écrin en cédant à la tentation…

La seconde idée est celle de sachets de maraîcher en kraft délicatement perforés. Les motifs végétaux ainsi formés en font les paniers contemporains des récoltes d’un jardin offert. Du marché à la table, les designers nous invitent à interpréter ces contenants en les déchirant suivant les pointillés. Leur multiplication dans l’espace associe l’abondance luxuriante du jardin d’Eden à la production en série d’un objet domestique modulable, décliné en luminaire ou en rangement mural.

Enfin nous sont présentés des échantillons comestibles en forme de carreaux, interprétant une variation sur les jardins (suspendu, potager, nivelé ou en terrasse). Ces parcelles aux reliefs géologiques et aux secrétions sucrées font l’amalgame du corps et du territoire au moyen de la nourriture. La référence à cette unité de la genèse est poussée jusqu’à la confection de deux pâtes de fruits dont l’une imite la peau du serpent et l’autre celle de l’arbre. Simple recherche de matières.

Contre toute attente, la scénographie n’est pas exubérante, ni ne rend l’atmosphère d’un banquet légendaire. A peine sommes-nous tentés par les mets qui nous sont donnés à voir… On s’attendait à apprécier les éditions en porcelaine pour l’aspect qu’ils empruntent aux fruits épousés par la matière. A leur place, les photographies des mets dans leur carapace blanche, annotées scolairement, et des prototypes en résine. Certes, ils montrent l’échelle et la fragilité de ces peaux, figées pour contenir des douceurs composées, ainsi que les aspérités organiques de leur grain. Mais on regrette de ne pas voir le passage à l’objet. C’est à cette étape qu’apparaît sa pertinence, le petit rien de la création qui fait sens par rapport à un contenu ou un geste. Mais l’exposition se complaît dans une esthétique du projet.

L’intention initiale d’un jardin de la tentation, censé provoquer curiosité et créativité au quotidien, avorte avant d’incarner toute signification. Rien de florissant, sinon l’accumulation des sachets, dont l’idée de la transformation en luminaires, insuffisamment réalisée, paraît avoir été trouvée sur place. Deux d’entre eux sont remplis de pommes, ce qui réintroduit du symbolisme là où l’on voulait ouvrir les horizons de l’illustre verger… Quant à la mise en scène, sur des tables en inox d’opération ou de préparation à froid, elle est minimaliste et analytique.

Les produits sont pourtant délicats, ludiques et tout à fait pertinents. Les burgers réactivent le fantasme d’Hansel et Gretel en opérant la confusion entre le contenant et le contenu. L’un fait corps avec l’autre et cette sensualité attise le désir de découverte. Car si l’on identifie l’aliment dont l’empreinte est volée, on imagine à l’intérieur l’étrangeté d’un mariage gastronomique hybride… Et les bords des coques, comme ceux des sachets de kraft, ne sont pas francs : les épluchures de fruits et ces emballages provisoires sont réhabilités avec raffinement, au sens propre du terme culinaire ! Le design produit une solution de continuité entre l’aliment et ses outils afin de réintroduire, à l’instar de Marc Bretillot, du sens et de la narration au sein des nourritures terrestres. Il a certainement transmis à Kitchen Paradise le souci de « l’ergonomie du manger », en reliant ce qui a été déconnecté par hypocrisie au coeur du cycle de production alimentaire. Surveillons leurs trouvailles, qui ne manqueront pas d’insuffler à nos repas du corps en ce qu’il a de gestuel, d’émotionnel et d’impur.

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