Elisa Fedeli. Peux-tu nous parler de la série de dessins que tu as exposée au Palais de Tokyo pendant l’exposition «Dynasty»?
Laurent Le Deunff. La série de dessins exposée dans «Dynasty» représente des intérieurs de grottes. D’un point de vue technique, j’ai travaillé au crayon de papier avec des fondus au noir.
Tu combines le dessin d’après nature et d’après des sources documentaires. Quelles sources t’ont inspiré pour cette série en particulier?
Laurent Le Deunff. Je suis parti d’une banques d’images représentant des grottes. Mes souvenirs personnels ont beaucoup joué aussi. Je ne me contente pas d’une simple représentation d’après ces images.
Les matériaux de tes sculptures sont toujours prélevés dans la nature puis vieillis naturellement. Qu’est-ce qui compte à tes yeux dans ce processus?
Laurent Le Deunff. Je travaille généralement avec ce que je trouve près de chez moi, c’est le cas pour mes sculptures en bois et pour la sculpture Mammouth, qui est fabriquée avec du carton d’emballage, récupéré après la fonte des neiges à la fin de l’hiver.
Je travaille souvent en fonction des contextes d’exposition. Les Matelas ont été conçus pour une exposition à Anglet, ville qui se trouve au bord de l’océan. J’ai sculpté des assemblages de madriers neufs, que j’ai recouverts d’une couche de lasure. Ensuite, je les ai laissés s’altérer par l’iode et par le sable pendant plusieurs mois.
Je pense que l’aspect éphémère du matériau le rend plus proche de nous.
Ce que deviennent mes pièces m’intéresse: le fait de les abandonner et qu’elles puissent vivre leur vie. Au festival du Vent des forêts par exemple, mon Hibou est maintenant maculé de fientes d’oiseaux, d’aiguilles de pins et il a reçu toutes sortes d’offrandes de la part des promeneurs.
Pourquoi privilégier dans tes sculptures des formes archétypales — telles que les animaux ou les totems — qui rappellent les arts premiers?
Laurent Le Deunff. Je m’intéresse aux formes ancestrales, ainsi qu’aux anachronismes qu’elles provoquent dans leur rencontre avec des formes modernes. Je tente de chercher l’origine. Pour les Matelas, je me suis aperçu, en regardant des stèles funéraires polynésiennes dans un magazine, que les motifs de zigzags qu’on y trouve sont proches des coutures des matelas d’aujourd’hui.
A quoi renvoie l’iconographie du matelas?
Laurent Le Deunff. Pour moi, c’est une vision de la plage comme matelas collectif géant.
Tu as récupéré pendant un an tes propres ongles, qui ont servi à recouvrir la surface d’un Crâne. Qu’est-ce qui t’intéressait dans cette collecte: sa durée, l’implication de ton propre corps, la connotation rituelle qu’elle suggère?
Laurent Le Deunff. Rien de tout ça. Ca faisait partie d’un cheminement : après les sculptures en dents et en cheveux, c’était assez logique pour moi… D’autres artistes y ont pensé avant moi, notamment Tim Hawkinson et David Shrigley. Crâne est une sorte de vanité car je l’ai réalisé pendant une période d’ennui, à la fin de mes études aux Beaux-Arts, et en pensant à l’exposition « La mort vous va si bien » organisée au Musée des Arts d’Afrique et d’Océanie de Paris en 2002.
L’idée de nature est omniprésente dans tes oeuvres et dans ton processus de création. Comment envisages-tu les relations de l’art avec la nature?
Laurent Le Deunff. C’est vrai que mon travail se prête bien à des expositions dans la nature. Je ne me sens pas spécialement proche du Land Art car mes oeuvres ne cherchent pas à se fondre dans leur environnement. La nature me sert de terrain d’inspiration et d’atelier pour sculpter et dessiner.
Parlons des jeux d’échelle provoqués dans tes pièces.
Laurent Le Deunff. Pour moi, les jeux d’échelle permettent de se projeter dans un territoire, d’un point de vue spatial mais aussi d’un point de vue imaginaire. Le choix de l’échelle vient d’abord du matériau que je trouve. Ce n’est pas une question d’agrandissement ni de réduction. Je fais avec ce que j’ai sous la main et j’essaie de tirer parti du maximum de matière possible.
L’installation de mes oeuvres est aussi importante pour moi. Pour l’exposition du Crâne au Palais de Tokyo, j’ai choisi un socle muséal très bas et trop grand pour la sculpture, afin de créer un effet de plongée et d’accentuer l’aspect accidentel de cette pièce.
Comment as-tu pensé l’accrochage de tes oeuvres dans les deux lieux d’exposition de «Dynasty»?
Laurent Le Deunff. J’y ai beaucoup réfléchi, en essayant de mettre les deux espaces en relation.
Au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, je désirais vivement m’approprier un espace particulier, situé au premier étage et qu’on appelle «l’aquarium». Je lui ai fait remettre des vitres et une moquette blanche au sol. Cet espace est un peu grand pour mes deux sculptures, ce qui crée un jeu d’échelle dans lequel chaque détail peut être pris en compte.
Il est aussi évolutif, grâce à la présence de la moquette blanche. Je souhaitais que les spectateurs laissent des traces de pas en marchant dessus. Celles-ci ont fini par former des halos gris le long des murs et autour de mes sculptures. Selon moi, c’est une façon de les mettre en valeur. De plus, il me semble que ces halos entrent en écho avec les bouches des grottes que j’ai dessinées.
J’aime aussi l’idée de mettre sous verre des pièces qui évoquent la saleté et le pourrissement, comme pour les fétichiser. L’ensemble ressemble à un diorama hors d’échelle, presque vide, où on assiste à la rencontre incongrue d’un mammouth et d’un matelas.
C’était mon idée pour «Dynasty» mais ce que j’aime avant tout, c’est rejouer mes pièces dans des situations différentes.