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Dynasty. Julien Dubuisson

Julien Dubuisson aborde la matière par un long travail manuel. Les technologies informatiques de modélisation en 3D sont pour lui une source d’inspiration. Elles l’amènent à construire des formes difficilement intelligibles et à repenser les conditions de leur apparition.

Elisa Hervelin. Quelle a été ta méthode de travail pour réaliser la sculpture Visite extérieure d’une grotte exposée au Palais de Tokyo?
Julien Dubuisson. Comme je l’ai déjà fait pour d’autres sculptures, je récupère sur internet des images qui me semblent singulières. Pour cette pièce, il s’agit du scan en 3D de la Grotte de Lascaux: le calcul de son volume creux y est modélisé sous forme de polygones. Ce qui m’a plu dans cette forme, c’est son caractère occulté: c’est un volume non identifiable, complètement abstrait, sur lequel l’œil n’a aucune prise. Pour moi, il est important que l’œuvre d’art produise un point de vue inédit, impossible à adopter sans elle.

Pourquoi as-tu choisi un ciment-résine pour former cette œuvre?
Julien Dubuisson. En parallèle de sa fabrication, je menais une réflexion sur un geste élémentaire de la sculpture, le moulage. J’ai choisi le ciment car j’aime la sensation de ce matériau quand il est coulé. Mais dans cette sculpture, ce n’est justement pas le cas! Je voulais laisser planer le doute, et que le public se demande si la sculpture a été moulée ou bien travaillée en direct.
Ce qui m’a également plu, c’est l’opacité de ce matériau, pour donner l’impression d’un espace fermé. Il me semblait important que le volume de la grotte reste plein, afin qu’il n’y ait pas de projections possibles. C’est un peu le cas dans les nouvelles de Samuel Beckett, où il réussit à créer des espaces qui ne fonctionnent qu’en littérature.

Cette sculpture mesure 7 mètres de long. Quelles ont été tes préoccupations en matière d’échelle?
Julien Dubuisson. J’ai d’abord réalisé une maquette en argile, pour comprendre notamment les contraintes de poids. C’est la première de mes pièces pour laquelle la question de l’échelle s’est vraiment posée de façon cruciale. Auparavant, les modèles que j’utilisais (une voiture, un masque) contenaient en eux leur propre échelle.
Pour la grotte, d’une part il était impossible de la reproduire à échelle réelle, et d’autre part, je ne voulais pas rester à l’échelle d’une maquette. Finalement, ce sont les contraintes propres à mon atelier qui m’ont aidé à déterminer la bonne échelle: il fallait que la sculpture puisse traverser une porte de 90 cm de large. Cette dimension standardisée, qui était d’abord une contrainte, m’est ensuite apparue comme une évidence: elle entretenait un rapport direct au corps. J’ai donc travaillé avec cette donnée pour déterminer le diamètre le plus large et opéré des variations à partir de celui-ci.

La sculpture exposée au Musée d’art moderne et intitulée Ghost Dance fait référence à une danse amérindienne. A quels niveaux ce domaine t’intéresse-t-il?
Julien Dubuisson. J’ai toujours aimé les objets et les rituels amérindiens. Quand on vient d’une autre culture, ce sont des choses qui nous apparaissent de manière assez précise mais qui, au fond, restent complètement opaques. On peut en parler du point de vue de la sensation mais une dimension nous en extrait. Pour cette sculpture, j’ai retrouvé quelques images seulement d’une danse indienne. Ce déficit documentaire m’a attiré.
L’idée de tasser le sol ou de le faire résonner me plaisait. Je voulais retranscrire cette sensation, l’amplifier et l’inscrire dans une forme. J’ai donc travaillé avec de l’argile, sur une dalle de 8 cm d’épaisseur, très arrosée. Cette malléabilité de la terre m’a permis d’amplifier les effets des mouvements.
Comme pour Visite extérieure d’une grotte, cette opération génère des formes impossibles à percevoir autrement. Tout d’abord, j’ai pensé mouler les volumes en positif pour obtenir un volume inversé. Mais finalement, cette étape mettait trop l’accent sur le pied, sur le corps, ce qui ne me satisfaisait pas. Le volume actuel met au contraire l’accent sur l’énergie, sur une addition de gestes. C’est une vision plus abstraite. Pour renforcer cette idée, les dalles ont été découpées et légèrement séparées les unes des autres.

Tes travaux antérieurs sont des installations sonores et des films. Parmi leurs méthodes ou leurs préoccupations, quelles sont celles qui se retrouvent dans tes sculptures?
Julien Dubuisson. Dans l’installation sonore Same Time présentée en 2009 lors des Modules du Palais de Tokyo, je cherchais à jouer sur quelque chose de déceptif. Une voix émettait à intervalles réguliers un message fictionnel. Le public était à la fois englobé par la nature du texte et évacué presque aussitôt. Cela créait une sorte de point de jonction entre deux temps: celui de la fiction et celui du spectateur.
Comme Visite extérieure d’une grotte, c’est une tentative de placer le visiteur dans une situation inédite, de lui permettre l’accès à une dimension dont il est normalement privé.

Quels sont les artistes qui ont nourri ta pratique de la sculpture?
Julien Dubuisson. J’ai travaillé dans l’atelier parisien du sculpteur Anne Rochette puis dans celui de Richard Deacon. J’aime beaucoup la sculpture anglaise, notamment Tony Cragg et sa façon d’aborder la question des matériaux. Actuellement, je m’intéresse en particulier aux pièces de Charles Ray et à leur charge psychologique.

— Julien Dubuisson, Visite extérieure d’une grotte, 2010. Ciment-résine, bois. 650 x 350 x 150 cm (diamètre 90cm).
— Julien Dubuisson, Ghost Dance, 2010. Ciment-résine. 9 dalles de 100 x 100 x 7 cm.

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