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Dynasty. Cyril Verde

En dépit de leurs pratiques plutôt éloignées, Cyril Verde et Mathis Collins ont choisi de renouveler leur collaboration pour l’exposition «Dynasty». Basée sur des faits réels, leur histoire plausible autour du puits artésien du Palais de Tokyo se décline sous différents médiums (documents d’archives, installations, objets, textes).

Elisa Fedeli. Depuis plusieurs années, tu travailles uniquement en collaboration. Que t’apporte ce principe d’un point de vue personnel?
Cyril Verde. Le travail en collaboration me permet d’être confronté à une multitude d’habitudes, de méthodes et d’envies. Pour moi, c’est une manière de satisfaire à la fois mon envie de créer et ma très grande curiosité pour les autres artistes. Plus globalement, cet engagement en faveur de la collaboration a une portée politique. C’est une manière de militer pour l’open-source, la liberté de redistribution des idées, en partageant mes méthodes de travail avec d’autres artistes.


Le projet de Monument pour un huitième puits artésien, Paris, 1842-2010 est basé sur des recherches documentaires préalables. Quelles en sont les grandes étapes?

Cyril Verde. Ce projet est issu d’une précédente collaboration avec Mathis Collins. En mars dernier, à l’occasion d’une exposition à La Vitrine, nous avons travaillé à la création d’une bière originale, appelée Alpha-Gold. Cette bière, brassée avec l’eau du puits artésien de la Butte aux Cailles, nous avait amené à faire des recherches historiques et iconographiques sur ce type de puits. A la fin de cette collaboration, il nous restait une image source que nous n’avions pas pu exploiter: une gravure de 1888 représentant la coupe du puits artésien de Grenelle. Cette image inutilisée est devenue le point de départ de notre réflexion pour «Dynasty», motivant à nouveau notre désir de travailler en collaboration. 


Progressivement, nous avons fait de nouvelles découvertes. La gravure était en réalité une reproduction d’une gravure plus ancienne, réalisée par Emile Ollivier en 1842 selon les observations de George Mulot. Après quelques recherches, nous avons retrouvé cette gravure au Musée Carnavalet, qui a bien voulu nous la prêter pour qu’on l’expose au Musée d’art moderne de la ville de Paris. Par la suite, la découverte complètement fortuite d’un plan de réaménagement du Palais Tokyo a continué d’élargir notre champ d’investigation. Découverte d’autant plus troublante qu’il s’agit d’un plan de la plomberie. Puis, restant toujours focalisés sur les puits artésiens, nous avons concentré nos recherches sur l’histoire de Paris. Et finalement, nous avons resserré notre intérêt sur les polémiques que généraient les puits artésiens, dont le plus fervent défenseur était François Arago.

Dans l’installation du Musée d’art moderne, on retrouve exposées les archives dont tu viens de parler. Quel a été ton souci de présentation?
Cyril Verde. Le plan original de la plomberie a été complété par un dessin quasiment imperceptible. Les Mémoires de François Arago ont été transformées en monument, en hommage au jaillissement d’un puits. Notre plaisir consiste à mélanger l’Histoire et l’histoire de l’art avec des formes plastiques personnelles. Cela nous permet d’échapper au sérieux du biographe ou de l’archiviste.

Notre implication s’est faite à plusieurs degrés. Nous voulions être à la fois le moteur et une pièce du puzzle au sein de la grande histoire des puits artésiens. C’est pourquoi certaines pièces font directement référence à nous deux. Par exemple, le bouchon en liège de Maquette pour un 8e puits artésien est un portrait de Mathis et de moi-même, réalisé sur commande par les ateliers Anri, fournisseur officiel des coucous suisses et du Vatican.
Nous apparaissons également personnellement dans la pièce de théâtre, que nous avons écrite dans le goût des comédies satiriques du XIXe siècle, celles-là même qui critiquaient le forage des puits artésiens. L’industrie ayant rendu l’eau de la Seine imbuvable, ces travaux se révélaient urgents et étaient très attendus de la population. Il faut imaginer qu’à cette époque, c’était un sujet d’actualité extrêmement polémique.

Devenus puisatiers par la force des choses, nous avons dû développer nos propres outils. En s’inspirant de Lorenzo Mascheroni, un géomètre italien du XVIIIe siècle qui refusait l’utilisation d’autres outils que le compas, nous avons fait une mesure précise de l’emplacement idéal d’un puits au Palais de Tokyo. Puis, nous avons tracé ces calculs au sol à l’aide de compas de charpentier et de sable coloré. Ce dessin fragile qui occupe une surface d’environ 20m2 est surmonté d’un tuyau inaugural qui a été enrobé de terre, de cristaux, de liège et d’or.

C’est donc un projet tentaculaire, autour duquel s’agglomèrent des supports différents. Quels statuts occupent-ils les uns par rapport aux autres?
Cyril Verde. Dès le départ, nous avions en tête l’idée que notre intervention devait se déployer dans le maximum de médias. Certains sont mobiles, comme le magazine Palais, le site internet, le catalogue d’exposition du Musée et des cartes en libre service au sein de l’installation. Tous les documents sont des fragments de ce projet global. Chacun peut servir de porte d’entrée aux autres.

L’accrochage est différencié selon le lieu d’exposition. Peux-tu nous expliquer pourquoi?

Cyril Verde. Les deux accrochages peuvent sembler antagonistes: au Musée d’art moderne de la Ville de Paris la place est faite au document alors qu’au Palais de Tokyo, l’objet présenté — un tuyau inaugural  —est plus ancré dans le réel. Il existe malgré tout des connexions possibles. Les compas présentés au Musée ont servi à concevoir l’œuvre du Palais de Tokyo. La pièce de théâtre du magazine Palais résonne particulièrement bien avec les récits de François Arago.

Aujourd’hui, l’installation inaugurale est entourée du message suivant: «le forage du puits artésien est reporté pour cause de critique». Est-ce vrai?
Cyril Verde. Chaque jour, ce panneau est différent. Nous avons rédigé soixante messages déclinant les raisons possibles de la suspension du chantier. Un médiateur choisit un message chaque jour. Les messages sont très variés: ils s’appuient sur l’actualité, sur l’histoire, sur des traits d’humour, etc.

Le forage du puits aura-t-il vraiment lieu?

Cyril Verde. Nous avons découvert l’histoire des sept premiers puits artésiens de Paris à travers l’Histoire, l’art et le destin de ses créateurs (Arago, Mulot père et fils). Ces puits n’existent plus ou ne sont aujourd’hui visibles qu’à l’état de monuments. Pour nous, le forage du 8e puits n’est pas indispensable. Ce qui nous a importé, c’est avant tout de créer un contexte crédible, à la fois juste historiquement et artistiquement.

En parallèle, tu te consacres à de nombreuses activités: tu es tantôt commissaire d’exposition, fondateur d’un magazine d’artistes (Elan), tantôt cuisinier. Qu’est-ce qui te pousse à pratiquer toutes ces activités?
Cyril Verde. Ces différentes casquettes ne sont pas hiérarchisées ; il s’agit plutôt d’activités parallèles. Si on peut toutes les qualifier de «créatives», je les distingue de mon travail artistique. Mon travail artistique est régi par une forme de continuité, par des cycles identifiables, alors que mes «activités» sont la plupart du temps issues de désirs passagers, de rencontres ou d’opportunités inattendues. Si mes activités n’ont pas forcément comme finalité la création d’un objet tangible, elles sont génératrices de matière. Et il est très fréquent que je réutilise cette matière dans mes propositions artistiques.

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