DANSE

Dynamite Winter Palace

PElisa Fedeli
@21 Mai 2011

Paradoxalement, la création artistique consisterait-elle à rendre secrète la présence d'une communication? Adepte de langages codés, Maria Loboda produit ses œuvres comme des énigmes à déchiffrer. Traversées par le thème des luttes de pouvoir, celles-ci font naître un sentiment d'insécurité.

L’exposition «Dynamite Winter Palace» (Faire exploser le Palais d’Hiver) plonge d’emblée le spectateur dans l’univers de mutinerie qui a entraîné le déclin du pouvoir tsariste et l’avènement de la révolution russe. Dans la scénographie, l’espace d’un palais semble configuré avec trois Å“uvres qui ont l’apparence ornementale d’un papier peint, d’une luxueuse table de réception et d’un jardin baroque. Pourtant, chacune d’entre elles recèle un code savant qui, une fois décrypté, lui donne tout son sens.

Au centre de la pièce, une table de dîner habillée de ses plus beaux atours — une nappe blanche, de l’argenterie et de la vaisselle chic — est chahutée dans son organisation par la présence d’un nombre démesuré de serviettes (118 au total). L’amoncellement vient suggérer une narration sous-jacente mouvementée, comme un dîner avorté.
Loin d’être anarchique comme il y paraît, la disposition et les couleurs des serviettes de table résultent d’une opération de codage du titre de l’Å“uvre, That’s How Every Empire Falls, en alphabet bilitère. Ce système, proche dans son principe du langage binaire utilisé de nos jours en informatique, a été inventé par le philosophe Francis Bacon au XVIIe siècle pour assurer la confidentialité des messages diplomatiques. Le sens profond de cette Å“uvre doit donc être déchiffré et renvoie à une critique ironique de la chute de l’empire russe.

Au mur, un papier peint dissimule parmi ses couleurs les huit lettres O.U.O.S.V.A.V.V., un énoncé médiéval impossible à déchiffrer, la clé étant perdue à jamais. Maria Loboda réactive ainsi une énigme, objet de fantasmes en tous genres depuis son apparition. Plutôt que de chercher à la résoudre à son tour, elle propose au spectateur une Å“uvre dont la part manquante est l’essence même.

Au milieu de la pièce, est exposé un objet qui relève du piège: il s’agit d’une petite fiole qui se balance au bout d’un fil, telle une invitation à la dégustation. Mais ses trois composants (la platine, l’hydrogène, l’oxygène) menacent de la faire violemment exploser au visage de celui qui se laisserait tenter!

La seconde salle de l’exposition est transformée en un jardin avec Ah Wilderness, un assemblage de plusieurs branches d’arbres issues d’espèces différentes. Le cèdre, le pin, le bouleau et le noyer ont été sélectionnés par l’artiste précisément parce qu’ils sont naturellement incompatibles, les uns produisant des substances nocives à la croissance des autres.
Ainsi, dans l’Å“uvre, se joue une lutte darwinienne, aussi cruelle qu’invisible. Au delà de cet ancrage scientifique, est donnée à penser par métaphore la capacité intrinsèquement autodestructrice de toute relation humaine.

Avec cette exposition, Maria Loboda plonge le spectateur dans un univers de mutinerie et d’insécurité. Ses Å“uvres s’appréhendent comme des messages à décoder ou des pièges à éviter. Insaisissables, elles cherchent à dissimuler la présence d’une communication et annoncent en même temps leur prochaine autodestruction. Tels les ordres d’un espion.

Å’uvres
— Maria Loboda, O.U.O.S.V.A.V.V., 2011. Installation in situ. Impression laser sur papier, verre. Dimensions variables.
— Maria Loboda, Curious And Cold Epicurean Young ladies, 2011. Hydrogène, oxygène, platine. 12,5 x 10,5 x 0,8 cm.
— Maria Loboda, That’s How Every Empire Falls, 2011. Table, nappe, serviettes de table, grillage, argenterie. 115 x 130 x 130 cm.
— Maria Loboda, Ah Wilderness, 2010. Branches d’arbre (cèdre, pin, bouleau, noyer). Dimensions variables.
— Maria Loboda, Two Suns Above A Moon, 2011. Impression lambda sur papier, encadré. 12 x 8,5 cm.

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