Nous sommes confrontés à une multitude d’approches de la société, du XVIIIe siècle à nos jours, et à des domaines plus proches de l’histoire et de l’anthropologie que de l’art contemporain. Invités à explorer des vies singulières, mais aussi collectives, nous devons trouver le lien invisible mais ténu qui rassemble dans un même lieu des témoignages aussi différents.
D’abord attirés par les banderoles réalisées dès le début des années 80 par Ed Hall pour des associations engagées dans des causes sociales ou politiques, on entre dans le vif du sujet.
Suspendues au plafond, les banderoles rythment le lieu et dessinent une procession de manifestants fantomatiques qui s’avancent vers le fond de la salle. Des slogans, «Stop racist attacks», «Don’t close our school», ou encore «Poets for peace», s’affichent clairement. Ils nus rappellent le titre général de l’exposition mais racontent aussi l’histoire du Royaume-Uni et celle de combats incessants.
Tout autour, accrochés sur les murs, les photographies de Folk Archive, fonds documentaire évoquant l’art populaire et vernaculaire britannique, montre un autre visage de cette société. Témoins de concours en tout genre, ces clins d’œils bienveillants collectés entre 1999 et 2005 rendent compte de folklores locaux se référant pour la plupart à des traditions ancestrales. Si leur survie tient à leur capacité à se moderniser et à s’adapter à des pratiques plus contemporaines, elle répond aussi à un énorme désir de rompre avec un mode de vie de plus en plus individualiste.
Jeremy Deller et Alan Kane rendent hommage à la culture de leur pays en mettant en lumière des activités populaires au coeur d’un lieu dédié à l’art. Les photographies ont leurs cartels, les costumes leurs vitrines les élevant au rang d’objets précieux, et les visages des inconnus leurs moments de gloire. On sillonne ainsi des dizaines d’événements, tous aussi improbables les uns que les autres, comme on feuilletterait les carnets de croquis d’un artiste en quête d’inspiration.
S’agit-il ici d’œuvres d’art? Difficile de se raccrocher encore à ce terme générique. L’artiste invité a peut-être voulu montrer autre chose. L’expression artistique est toujours tributaire d‘un contexte, d’un environnement, d’une époque. Les ruptures et les différents mouvements artistiques sont le fait de la clairvoyance ou de la folie de certains hommes. Le Palais de Tokyo nous offre cette fois-ci la possibilité de questionner les alentours de l’art, sa périphérie. Les zones intermédiaires et les sources d’inspirations qui font ce qu’il est aujourd’hui.
Plus loin, au fond de cette vaste salle tout en longueur nous attend un petit espace réservé à un autre type de révolution : «1962-2001. Les débuts du rock en France» fait un retour en arrière sur les années 60 et sur le Golf Drouot.
Henri Leproux, barman de cet ancien thé dansant parisien investit dans un juke-box et lance une scène ouverte. Il participe ainsi de manière décisive à l’émergence d’un nouveau style de musique et à son développement en France.
Cette partie du Palais de Tokyo, plongée dans une semi-obscurité, nous fait revivre la naissance de ce qui a bouleversé notre paysage audiovisuel. La genèse de ce qui est maintenant décliné et retravaillé sans cesse est dévoilée ici en toute simplicité.
On quitte le domaine de la chanson mais on reste dans celui du son : «1917-1939 Son Z» rassemble des documents d’archives en relation avec le Centre Theremin de Moscou, institution liée au développement des technologies audio et musicales en Russie au XXe siècle.
Cette exposition pensée par les commissaires Andreï Smirnov, Matt Price et Christina Steinbrecher fait partie d’un projet plus conséquent intitulé «Generation Z». Il vise à «restaurer l’histoire et la culture de l’utopie artistique des années 1910 et 1920, que son affrontement avec l’Etat totalitaire a détruit dans les années 1930».
La chute de la monarchie des Tzars a laissé la place à une ère nouvelle pour les arts et les sciences. Des instruments de musique et des inventions sonores ont vu le jour. Le lettre “Z” contenue dans le titre symbolise à la fois le courant électrique, les tensions de l’époque, mais aussi toute l’énergie déployée par les protagonistes impliqués dans ces différentes recherches.
Tension et désir de bouleversement total, se mêlent et résument tous les discours présentés à travers les différents espaces aménagés par Jeremy Deller.
Chaque thème abordé laisse entrevoir les conséquences de ces luttes singulières et les répercutions qu’elles ont encore aujourd’hui. Il s’agit toujours de gens à part qui ont vu avant les autres une possibilité d’ouvrir de nouveaux horizons. Ils ont instauré avec plus ou moins de violence une autre manière de voir et de penser et ont construit de nouvelles mentalités en bousculant les acquis d’une société en marche.
Jeremy Deller s’intéresse aux gens en marge de la société qui essaient de changer le monde à leur échelle. Il ne parle pas seulement de révolution mais aussi de rêve. Utopie du changement, espoir de voir apparaître autre chose, tous les acteurs de cette exposition ont un jour tenté de concrétiser leur ambition.
L’exposition se termine sur les œuvres de William Scott qui ne fera pas exception à cette règle. Son projet de replanification urbaine de San Francisco lui permet d’envisager à l’aide de croquis et de textes faisant office de manifeste la reconstruction de son propre quartier selon ses propres plans. Cherchant à lutter à sa manière contre l’exclusion et la marginalisation d’une partie de la population américaine il invente un monde meilleur.
Bien qu’ancré dans une aventure très personnelle, son travail résume à lui seul l’ensemble de notre visite. L’exploration du réel, du monde qui nous entoure, nous oblige à nous poser sans cesse des questions d’identité et de croyance. Avoir foi en l’autre mais aussi en nous-même semble toujours aussi nécessaire pour construire un espace à vivre ensemble.