ART | CRITIQUE

Du camouflage à la trame

PGéraldine Selin
@12 Jan 2008

Exposition historique d’un artiste de la «nouvelle figuration», mouvement français contemporain du Pop Art américain. Peintures de la série Camouflages (1961-1964) et œuvres de 1968, Les Matériaux tramés (Toiles de jute, Tôles ondulées, et Parquets).

La galerie Daniel Templon organise une exposition de type historique de l’œuvre d’Alain Jacquet portant le titre « Du camouflage à la trame ». Elle y montre en effet des peintures de la série Camouflages (1961-1964) et une sélection d’œuvres de 1968, Les Matériaux tramés (Toiles de jute, Tôles ondulées, et Parquets).
Alain Jacquet est volontiers classé dans le mouvement de la «nouvelle figuration» ou «figuration narrative», mouvement contemporain du Pop Art aux États-Unis (Jasper Johns, Lichtenstein, Warhol).

Au début des années soixante, il réalise ce qu’il appelle des «camouflages». Visitant l’histoire de la peinture, Jacquet effectue une sorte de maquillage des œuvres d’art un peu à la façon de la technique militaire du camouflage. Ainsi en est-il de cette toile intitulée Camouflage Matisse. La Joie de Vivre (1963). Un autre type de déguisement consiste à opérer un croisement entre une œuvre d’art et l’image d’un objet de notre quotidien. Camouflage Botticelli. Naissance de Vénus I livre le corps de Vénus à la fois dans, devant et derrière une pompe à essence.
Le détournement d’un tableau ou d’une affiche publicitaire nous fait réfléchir sur la perception, liée à des mécanismes inconscients, et sur les discours qui tentent de décrire ces œuvres. Pour Marc Le Bot, chez ces peintres de la «figuration narrative», « c’est le tableau qui s’empare du discours, canalisant par force le flux de paroles dans sa machinerie optique». Le tableau suscite toujours un discours, lequel n’est pas forcément d’ordre descriptif, mais cela ne signifie pas que le tableau contient ce discours. Le dire du tableau n’est pas un dire dans le tableau, ni autour, mais, comme le montrait déjà Diderot, à partir du tableau.

Depuis le début, l’artiste travaille la problématique de la trame. Il est présenté comme la figure du «mec art» (Pierre Restany), art qui travaille des images déjà existantes par une technique mécanique et non manuelle. Jacquet pratique le report du cliché photographique sur toile comme Le Déjeuner sur l’herbe (1964, référence au tableau de Manet), ou bien la sérigraphie sur différents supports, plexiglas, jute, bois.
Catherine Millet inscrit la démarche d’Alain Jacquet dans la continuité de Marcel Duchamp — non le Duchamp du readymade, mais celui des expérimentations sur l’optique — en tant qu’elle questionne l’idée «de projection d’une image d’un espace dans un autre, de sa transposition selon différents modes représentatifs et sur différents supports». On peut voir dans l’exposition des sérigraphies sur isorel (Parquet) ou celle d’une trame de jute sur un sac en toile de jute.
Dans son ouvrage sur L’Art contemporain en France, Catherine Millet s’interroge: «A quel stade intervient-il en tant qu’artiste ?». L’auteur se demande si c’est «la technique qui définit le peintre ou le photographe». Mais la technique ne fait pas l’œuvre, elle fait l’objet. On peut penser l’œuvre d’art non comme tekhnê mais comme poiêsis, relation d’une pratique et du langage.

Lorsqu’on parle du paradoxe d’une peinture dont «l’extrême présence de la surface» confère un «effet dé-réalisant» — discours sur l’objet d’art dans un présent de la perception — ne manque-t-on pas ce qui fait la valeur de l’œuvre, non pas l’activité de l’individu artiste mais l’activité de l’œuvre, qui est le discours à partir de l’objet dans le présent de la parole et qui montre la dimension historique de notre perception ?

Alain Jacquet
Camouflages, 1961-1964 :
— Camouflage Boticelli. Naissance de Vénus I, 1963. Huile sur toile. 220 x 105 cm.
— Camouflage Camion, 1963. H/T. 97 x 130 cm.
— Camouflage Image d’Epinal, Saint Crépin et Saint Crépinien, 1962. H/T. 200 x 200 cm.
— Camouflage Klimt, 1963. H/T. 46 x 33 cm.
— Camouflage Matisse, La Joie de Vivre, 1963. H/T. 203 x 144 cm.
— Camouflage Rank Xerox, 1964. H/T. 195 x 130 cm.
— Camouflage Walt Disney, 1963. H/T. 100 x 81 cm.
— Cylindre peint (élément préfabriqué), 1961. Huile sur carton. 140,5 x 42,5 cm.
— La Cène, 1964. H/T. 70 x 100 cm.
— Maquillage rituel, 1962-1999. Bronze. 30 x 30 x 10 cm.
— Saint-Crépin I, II, III, IV, 1962. Encre et crayon sur papier. 23 x 30,5 cm chacun.

Matériaux tramés, 1968 :
— Cubes (six éléments). Huile sur carton. 50 x 50 x 50 cm chaque.
— Parquet. Sérigraphies sur isorel. 195 x 122 cm ou 24,5 x 255,5 cm
— Parquet Totem. Sérigraphie sur isorel. 236,5 x 26 cm.
— Planche de bois. Sérigraphie sur plexiglas. 60 x 160 cm.
— Sac de jute. Sérigraphie, acrylique sur coton.
— Toile de jute. Sérigraphie sur coton. 203 x 294 cm.
— Toile de jute et original. Sérigraphie sur coton et toile de jute sur bois. 130 x 89 cm et 80 x 80 cm.
— Tôle ondulée. Isorel. 155 x 81,5 cm.
— Tôle originale et plexiglas. Tôle galvanisée et sérigraphie sur plexiglas. 165 x 90 cm et 83 x 155 cm.

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