Anna Teresa de Keersmaeker
Drumming Live
«Trouver des équivalences chorégraphiques aux lignes mélodiques». En créant en 1998 pour sa compagnie Rosas la pièce Drumming, sur la composition éponyme de Steve Reich, la chorégraphe flamande Anne Teresa De Keersmaeker n’ambitionnait rien moins que l’alpha et l’omega de toute pièce de danse. A cette nuance près que la partition originale, ici, constituait déjà en elle-même un défi. Pionnier du courant minimaliste américain, Steve Reich avait, dès le début des années soixante, révolutionné son époque en inventant le phasing, c’est-à -dire la répétition en boucle d’un même motif musical par deux pistes de sons, au départ à l’unisson puis très progressivement en décalage. Suivant ce principe, il avait conçu en 1967 le fameux Piano Phase, pièce fondatrice du genre sur laquelle Anne Teresa De Keersmaeker allait à son tour à 22 ans, en 1982, bouleverser le monde de la danse en créant l’hypnotique Fase. L’écriture en 1970-71 de Drumming, pour percussions et voix, reprenait le même procédé mais dans une exigence de formes encore plus absolue, sans l’appui d’une ligne mélodique. Autant dire qu’à s’attaquer à ce monument de la musique répétitive américaine, la chorégraphe prenait le risque de se répéter, ou de décevoir. Il n’en fut rien. Bien au contraire, la pièce constitue un sommet de virtuosité gestuelle et d’invention scénique.
Aux huit cellules musicales et rythmiques de la partition correspondent huit courtes phrases chorégraphiques en spirale, reprises et développées par les douze danseurs. Dans une utilisation magistrale de l’espace, Anne Teresa De Keersmaeker transpose la rigueur de la partition musicale sur la géométrie des déplacements. L’abstraction du mouvement dansé est tempérée par le jaillissement de vie de cette dynamique incessante. Tel un tourbillon, Drumming emporte interprètes et public dans une extraordinaire traversée du son et du geste, au plus haut de la contrainte et de la liberté.