Le titre de l’exposition donne le ton. François Curlet devient le «Dr. Curlet» invité invitant le duo d’artistes Jos de Gruyter et Harald Thys, mise en abyme de soi en autre autant sous la forme de l’invitation que celle du duo.
La création d’un personnage est autant de mise dans le travail de François Curlet que chez Jos de Gruyter et Harald Thys, qui pourraient être dans leur vidéo Tim et Tom, des noms onomatopéiques et presque interchangeables, mais visant plutôt un basculement. Comme la charte de couleur Kodak au début de l’exposition fait écho à la charte de gris Kodak à la fin du parcours, telle une fiction chromique. En effet, les trois salles consacrées au duo sont totalement peintes en gris, y compris les œuvres ! Le titre de l’exposition donne le ton et les murs aussi.
Cet humour qui se mord la queue est présent chez les trois artistes. French Farce, le film de François Curlet, est la première œuvre, perçue d’abord sous forme d’affiche puis en projection vidéo. L’aura du «personnage» Marcel Duchamp est tout de suite annoncée dans l’affiche avec moult références à ses œuvres charnières. La référence surgit de façon inattendue à la fin de la vidéo. Trois hommes «typically french», assez âgés, sont assis à une table dégustant tour à tour un verre de vin, au rythme d’un travelling créant un suspense pastiche. Une femme sophistiquée, attablée avec eux, les regarde pour finalement s’exclamer avec un accent «typically british»: «Vous êtes tellement Marcel Duchamp!».
Cette atmosphère artificiellement confortable d’un troisième âge parasité par des références érudites à l’art est reprise dans l’œuvre Rocking Chair (nous revenons au basculement, à l’oscillation créatrice de non-sens ou, mieux, de sense-sense). Sur un fauteuil à bascule entièrement peint en bleu clair se trouve une couverture en laine qui dépasse du dos du fauteuil. Ce dépassement est visuel mais aussi sculptural: l’objet devient œuvre, la réalité devient factice. La même traversée s’opère dans les trois salles suivantes, où l’exposition sommeille sous une plusieurs couches de gris.
Des bibelots étonnants (un bas relief d’une scène d’intérieur, un réverbère, un pont en pierre…) sur des socles de la même couleur s’associent aux photographies, rappelant Suddenly this Overview de Fischli & Weiss, un autre duo d’artistes mettant en scène un geste artistique de mise en scène. Ces photographies reprennent des personnages affublés de costumes ou d’un maquillage rudimentaires que nous avons découvert dans la vidéo.
Tortionnaires, victimes, vendeurs d’objets inutiles, paysages rudes, ces images recréent un monde où une mise en scène assumée raconte une histoire latente. Vaudevillesque, l’œuvre de Jos de Gruyter et Harald Thys bâtit une micro-société délurée dans laquelle l’illusion est démentie au profit d’une autre qui la dépasse: celle des nos projections hallucinées par un absurde qui révèle une inquiétude sous couvert de l’humour presque tragique, presque existentiel, presque drôle.
Au fil du parcours, l’humeur du spectateur subit elle-même une oscillation. Un rire franc s’assombrit petit à petit sans toutefois s’éclipser. La présence auratique des artistes ne nous lâche pas. Ils sont là , tous : Marcel Duchamp, Magritte, Samuel Beckett, le Dr. Curlet, Tim et Tom…
L’arc-en-ciel Kodak qui nous faisait regarder vers le haut est presque à nos pieds, stimulant un regard vers le bas. Nous avons à notre tour basculé dans l’œuvre, personnages-type (et qui plus est, le critique, avec un stylo et un papier en main) circulant dans une photographie déclinant les tonalités entre le noir et le blanc. Ou serait-ce dans une peinture, un monochrome richterien accueillant toutes les images / projections possibles, parasité par des suggestions aussi burlesques que familières ?
François Curlet
— French Farce, 2007. Film. 5 mn.
— Rocking Chair, 2007. Sculpture bois et laine. 105 x 70 x 100 cm
Jos De Gruyter & Harld Thys
— Sans titre, 2005. Photo (détail d’une série de 20). 60 x 80 cm.
— Ten Weyngaert, 2007. Vidéo. 24 mm.