ART | CRITIQUE

Double Vie

PMarine Drouin
@07 Jan 2010

Les affiches de Malte Martin habitent les couloirs du métro depuis plusieurs saisons théâtrales sans se fondre dans le bruit des réclames. Elles sont des plages de silence qui font entendre les mots en noir sur blanc. Son travail de surface prend le relief des expériences déployées dans l’espace urbain par le laboratoire Agrafmobile, l’autre dimension de sa « double vie ».

Chez Malte Martin, pas d’images mais un jeu d’aplats, des formes archaïques ou un travail de typographie. Et pourtant que d’espace! Un paradoxe animé par une activité à deux têtes: l’atelier graphique pour la communication et le « théâtre visuel » Agrafmobile, laboratoire itinérant d’expérimentations publiques. En ville, les prises de paroles radicales comme les publicités les plus insipides sont vite relayées par d’autres. Malte Martin plasticien cherche à investir ce territoire de sorte que les mots y apparaissent différemment.

En 2002 à Chaumont, « le théâtre des questions » prend la forme d’un spectacle volatile, affranchi de la relation frontale aux murs du Festival. Agrafmobile y avait déjà travaillé la densité urbaine: pour « takalefaire », une forêt de pictogrammes des engagements des habitants faisait face à une terrasse de café, haut lieu du débat public planté de parasols.

Autre format, les récits collectés depuis 2007 dans le quartier Saint-Blaise à Paris y ont été projetés lors d’une Nuit Blanche, assortis d’une géologie mouvante ou de cellules organiques au déplacement lent. Une représentation des identités avec « des signes qui parlent moins fort ».

La communication du théâtre l’Athénée a coïncidé avec le retour à l’expérimentation d’Agrafmobile dans le cadre d’une commande. Année 2006, boulevard de Magenta: essai pour une stratégie de « basse tension ». Chaque semaine sont affichés les remarques de passants qui suscitent d’autres réactions comme un feuilleton. La parole anecdotique n’y est pas moins puissante: « Piéton: automobiliste descendu de sa voiture. Automobiliste: piéton remonté dans sa voiture ».

Malte Martin affichiste utilise la Din, la police des signalétiques autoroutières. D’ingénierie rigoureuse, elle possède des rondeurs qu’il nourrit pour accentuer sa dualité. Car le texte est la matière première du spectacle, son élégance… et son insolence: dans le manifeste « Malte Martin affiche deux théâtres », l’auteur se dit « frappé par la tendance à la tribalisation des identités » et veut inventer un langage à même de fédérer les publics. Il commence par agir sur les sens que la ville sollicite en nous. Son bruit lui inspire le besoin d’espaces visuels vacants qui fassent entendre le mot, le motif au sens de sa raison d’être.

Pour l’Athénée, des lettrages du noir au gris sur fond blanc, soulignés ou surlignés en négatif. Seul motif récurrent, un point rose fushia comme un signalement, qui lui a valu le slogan du « théâtre qui a un grain… de beauté ». Contraste et sobriété pour que se manifestent des intitulés en forme de déclamations ordinaires: « A chaque fois on s’embrasse et puis y’a rien de fait ».

Pour le Théâtre 71 à Malakoff, un titre : un signe, soit une forme bombée au pochoir. Le geste est humain, le motif ambivalent, comme une grenade en forme de flacon de parfum ou l’inverse. Et ce sur un aplat intense qui « fait le vide autour de lui ». Car le format des affiches déploie leur force visuelle sur deux mètres. Elles sont radicalement pensées pour les couloirs du métro, le déplacement de la rue.

Malte Martin travaille si bien les mots qu’ils sont à même de travailler l’espace à leur tour. En volume à la librairie du 104 sont posés les mots « arts » ou « essais ». Et même en surface au Merle Moqueur, ils rendent au lieu un relief que la disposition routinière a perdu, venant souligner les angles des murs et le retour des plafonds. Enfin au Théâtre 71, en gros sur les murs du hall: « Les entrées de la salle sont derrière vous » ou « Le bar est en bas ». Sa signalétique littéraire fait référence à la situation de l’individu dans l’espace plutôt qu’à des entités désincarnées au logo.

Cette exposition ouvre la deuxième décennie d’Anatome sous le double signe de l’accessibilité et de l’exigence. Avec Malte Martin, elle confirme son choix de designers graphiques d’autant plus accomplis dans leur travail de commande qu’ils sont attachés à une recherche plus fondamentale. Agrafmobile fête aussi ses dix ans…

Malte Martin
― Affiche pour le théâtre de L’Athénée, saison 2008-2009. Papier.
― Affiche métro pour le Théâtre 71 Malakoff, 2007. Papier.
― Affiche métro pour le Théâtre 71 Malakoff, 2007. Papier.
― Affiche métro pour le Théâtre de l’Athénée, saison 2009-2010. Papier.
― Lèche-vitrines, rue Sedaine, Nuit blanche 2009, agrafmobile.
― Takalefaire, Chaumont, 2009.

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