Lynda Benglis, Dan Flavin, Sol LeWitt, Bruce Nauman
Double Eye Poke
Librement emprunté à une œuvre de Bruce Nauman — où la violente attaque optique décrite dans l’expression idiomatique «better than a poke in the eye» est représentée au sens propre et redoublée avec malice — le titre de l’exposition propose d’explorer (cruauté mise à part) diverses modalités, communément qualifiées de minimales, post-minimales, ou conceptuelles, qu’emprunte un intérêt commun pour un certain trouble de la vision.
«Double Eye Poke» rassemble ainsi des œuvres-phénomènes fondées sur la figure humaine, tantôt manifeste, tantôt plus secrète, incarnée dans l’espace et le temps. Cette figure, souvent fragmentée, voire parfois tout à fait abstraite, prend tour à tour la forme, signifiante, du visage, à la fois matériau brut et objet de représentation symbolique comme dans les caresses chosifiantes de Lynda Benglis; celle du corps dans son entier, lieu et outil de l’épreuve et du plaisir de la répétition, avec la chorégraphie amateur frisant l’absurde de Bruce Nauman; celle encore de traces et empreintes physiques de l’artiste-créateur (ou de l’art worker à son service), telle la géométrie irrégulière et aléatoire de Sol LeWitt; ou bien alors celle de pairs (Donald Judd) ou de figures tutélaires de l’histoire de l’art (Vladimir Tatlin) qui inspirèrent des structures évanescentes à Dan Flavin…
Ici constat désenchanté (un neon sign de Nauman ne dit-il pas aussi none sing?), là apparition fantomatique (les instructions de LeWitt ne finissent-elles pas en un énorme crayonnage apparemment chaotique?), «Double Eye Poke» offre en tous les cas un défi à l’être percevant et pensant. Défi où des œuvres sensationnelles se révèlent essentiellement critiques, où le langage (et ses jeux) qui les constitue souligne en la traduisant cette nécessité de découvrir l’invisible au cœur du visible, et qualifie de manière spécifique ce que l’on croyait dépassé: non pas des «tableaux» mais des wall drawings, image-objects, ou céramiques. Le pictural réapparaît ainsi là où l’on ne l’attendait plus. Pour reprendre la phrase de Hal Foster, «What you see is never quite what you see».
Commissariat: Béatrice Gross. Béatrice Gross est commissaire d’exposition et critique d’art indépendante vivant à New York.
Lynda Benglis est née en 1941.
Dan Flavin est né en 1933 et décédé en 1996
Sol LeWitt est né en 1928 et décédé en 2007.
Bruce Nauman est né en 1941.
critique
Double Eye Poke