Créé dans le cadre du festival d’Avignon 2017, le spectacle Unwanted, de la chorégraphe britannique Dorothée Munyaneza, revient sur le passé douloureux du Rwanda. Unwanted [non-voulus] plonge dans la réalité des enfants nés de viols. Pendant le génocide des Tutsis, en 1994, près de 100 000 à 250 000 femmes ontété violées. De cette arme de guerre qu’est la mutilation, par le viol et la transmission du VIH, sont ainsi nés entre 2000 à 5000 enfants. Aujourd’hui âgés de 22 ans. Elle-même née à Kigali en 1982, Dorothée Munyaneza est allée rencontrer quelques-uns de ces enfants (hommes, femmes) ; quelques-unes de ces mères. Et Unwanted, par la voix, les chants, la danse, sculpte ces récits, pour mieux restituer quelques pans d’une histoire éclatée. L’art pour transformer la haine en outil de réflexion, en prothèse pour se relever et avancer.
Unwanted de Dorothée Munyaneza : aux enfants nés de cette arme qu’est le viol
Pour Unwanted, Dorothée Munyaneza s’est entourée, sur scène, de deux artistes complémentaires. D’abord, il y a la voix de la chanteuse afro-américaine Holland Andrews. Une voix tantôt rauque et gutturale, tantôt lyrique, pour une polyphonie mémorielle à plusieurs. Ensuite, il y a la musique du compositeur Alain Mahé, entre sonorités électroniques et électro-acoustiques. Trois interprètes quant à eux soutenus par les sculptures scénographiques du plasticien Bruce Clarke. Fortement engagé dans la lutte anti-apartheid, l’artiste Bruce Clarke aura également, dès le début des années 1990, alerté sur les dérives politiques au Rwanda. Ayant en partage cette intime implication dans l’histoire rwandaise, Dorothée Munyaneza et Bruce Clarke ont ainsi, pour Unwanted, créé une pièce-hommage aux femmes mutilées. Après avoir, en 2014, réalisé le projet Les Hommes debout, commémorant les vingt ans du génocide Tutsi, avec Unwanted Bruce Clarke aura travaillé une scénographie sensible, où la figure du féminin se relève.
La danse, la voix, la performance, la sculpture et le chant pour dépasser la haine
Travaillant corps et voix, Dorothée Munyaneza explique : « Je ne crée pas pour créer. Je passe par le corps, la musique, le chant, le texte pour toucher des sujets qui me tiennent à coeur : la violence faite aux femmes, les inégalités raciales, la soumission de l’homme noir à l’homme blanc […] je pars de là pour aller au-delà de ma souffrance, trouver là où le feu continue à brûler et rester vivante. Je ne peux être artiste et ne pas refléter la société dans laquelle je vis*. » Chorégraphie engagée, Unwanted s’appuie sur la clarté : « […] Des filles, des femmes. […] Abusées déchirées violées mutilées humiliées annihilées. […] Anéanties par le crime atroce certaines se sont retrouvées enceintes de leurs bourreaux. Des enfants non-voulus naquirent rappelant à leurs mères le crime qui les abattit. Des enfants reniés par leurs mères, leurs familles, la société. Unwanted. […] Comment danser après ? […] Que léguer** ? […] »
Dans la sobriété de la tôle peinte, Dorothée Munyaneza ritualise ainsi le retour du banni dans la mémoire collective.
* Extrait de l’Entretien – Dorothée Munyaneza et Bruce Clarke, réalisé en septembre 2016 par Mélanie Jouen.
** Dorothée Munyaneza, note d’intention d’Unwanted.
Itinéraire du spectacle :
– Pôle-Sud, CDCN Strasbourg, dans le cadre du festival Extradanse, les 10 et 11 avril 2018.
– Le Centquatre-Paris, du 28 novembre au 1er décembre 2017.