Mahi Binebine, Najia Mehadji, Mohamed Lekleti
D’Orient et d’Occident ou l’esthétique de l’entre-deux
La Galerie D.X présente trois artistes de culture franco-marocaine, Najia Mehadji, Mahi Binebine, Mohamed Lekleti, qui à l’instar de nombreux artistes de cette mouvance utilisent la grammaire internationale de l’art contemporain, tout en gardant chacun un vocabulaire spécifique.
La galerie présente des œuvres de Najia Mehadji appartenant aux séries Mystic Dance et Volutes. Le corps, l’éros et la spiritualité se trouvent au cœur de l’œuvre de Najia Mehadji. Elle semble en effet éprouver le désir intense d’unir dans son œuvre le sensuel et le mystique ; dans les tableaux qu’elle nous propose, la puissance poétique des figures plastiques s’associe, par l’épure des trajectoires et la sobriété des couleurs, à une intense spiritualité.
Najia Mehadji invente une calligraphie, où la ligne continue d’un geste, un seul, trace plis et replis, dans un mouvement intérieur/extérieur à la fois sensuel et sublimé. Détachée de toutes figurations littérales, elle pratique ce que l’on peut nommer «abstraction gestuelle» où le corps s’implique à l’œuvre, celle-ci invitant celui-là à l’expérience d’un voyage sensoriel; cette dynamique de l’artiste peignant rejoint l’expérience d’un Derviche en danse mystique. La série intitulée Mystic Dance est la directe illustration d’un tel processus.
«Mon travail se situe entre l’abstraction et la figuration, la couleur et la lumière, le dehors et le dedans, le mouvement et le suspens, le sensible et le symbolique, le geste et l’idée, la géométrie et l’organique, l’intuition et la réflexion, l’Orient et l’Occident». (Najia Mehadji)
Dans ses toiles, Mahi Binebine parle de la dureté de la condition humaine: masques entravés, bâillonnés, lacérés, corps humains emboîtés, enlacés, écrasés jusqu’à l’humiliation, évoquent l’indicible souffrance humaine. Il fait le récit cauchemardesque des ses obsessions et de ses déchirements.
Cependant, Mahi Binebine refuse de céder au pathos. Tous les moyens sont mis en œuvre pour faire passer son message sur un mode feutré, murmuré, tendre et poétique à la fois. Les formes humaines sont silhouettées, esquissées pour certaines; le dessin évoque autant la violence et l’horreur que la danse des corps enlacés. Enfin, les couleurs, matières et pigments — indigo et mauves délicats, ocres et rouges profonds et chaleureux — denses et lumineux rappellent les fresques anciennes. L’ambiguïté règne, légère et énigmatique, troublante par le silence et les non-dits.
Les œuvres de Mohamed Lekleti représentent des hommes, des femmes et des objets bien réels, et au premier regard, on retient un graphisme à la fois précis, virtuose, puissant, énergique et même décoiffant au service d’une thématique: celle du mouvement, de la vitesse, de la force, de la tension.
Corps violemment enroulés, femmes chahutées, formes humaines monumentales en déséquilibre, cycles lancés dans d’infernales courses, chevaux galopants… Mohamed Lekleti fige le récit d’un monde haletant fuyant et frénétique. A y regarder de plus près, ces formes si savamment agencées, n’ont de réel que l’apparence et semblent participer plutôt à un gigantesque chaos, dans lequel l’homme aux prises d’absurdes activités, apparaît aussi précaire que dérisoire.
En effet, la constance du traitement graphique et la permanence de symboles forts (liens, appareillages, corps composites) servent une thématique récurrente, celle d’un univers de non-sens, véritable cauchemar à l’image même du monde auquel nous participons. La précision du trait sert ici le leurre, l’absurdité du discours nous amène à aller au delà de ce qui est visible et formel. Car tel est le message de Mohamed Lekleti: loin de toute logique de la figuration du mouvement, il nous montre que toute perception, loin de refléter le réel, est fondamentalement autre.
Histoire et culture de chacun façonne cette «distorsion» du voir et de l’entendre et donc du sentir. Mohamed Lekleti sait mettre en forme le mystère et possède ce talent de pouvoir saisir une réalité qui est de l’ordre de l’insaisissable. Son dessin nous renvoie à ce «hors champ» auquel chacun de nous participe.