Andrea Romano
Doorkijkje
Le doorkijkje, cet artifice dont usaient les maîtres flamands comme Nicolas Maes, Pieter de Hooch ou, plus sporadiquement, Vermeer, pour articuler des récits complexes dans l’espace plan de la toile et mettre l’accent sur le point focal de la scène dépeinte situé au-delà de l’espace représenté au premier plan — dans une enfilade de salles, un corridor, ou autre — joue pour Andrea Romano le rôle de métaphore de la vision: nous ne voyons en effet qu’au travers de notre expérience personnelle, de nos ressentis et de notre culture.
Les pièces réunies sous le nom générique d’Highlight (depuis 2011) font office de marqueurs temporels dans un continuum de recherche qui se focalise sur la question de l’innovation. Que peut bien signifier le progrès appliqué à l’art? Ce qui est nouveau est-il par essence meilleur? Pensées à partir de matériaux novateurs, ces sculptures se donnent, selon les termes de l’artiste, comme l’intersection de systèmes technologique et esthétique, incarnant dans ces matières et techniques de pointe des formes plaisantes à l’œil, en faisant des objets sans usage mais possiblement sujets à l’obsolescence.
Vanités technologiques, les toutes nouvelles occurrences de la série allient ardoise et fibre de verre en un matériau composite qui permet à la feuille d’ardoise d’obtenir une flexibilité surnaturelle.
Fur (Highlight 2015) et Alps Lime (Highlight 2015) endossent la forme tautologique du ruban de Möbius, évoquant ainsi aisément la continuité, la continuation, l’éternelle persistance autant que la circularité qui font de l’idée de progrès un idéal autant qu’un mythe. Courbée, coupée, collée, cousue, l’ardoise du troisième millénaire se joue de cette nouvelle malléabilité pour dire la légèreté et la finesse convoitées par le travail des orfèvres.
Cocoons (Highlight 2015) a la préciosité d’un bijou et l’étrangeté de ses dimensions inhabituelles — ses imposantes «perles» à l’aura géologique, parées de pigments nacrés, l’épaisse corde noire qui les relie — semble raconter une provenance énigmatique. De fait, les cinq sortes différentes d’ardoise qui le constituent sont issues de divers endroits du monde. Mais, moins prosaïquement, c’est aussi à une dimension extra humaine que les Cocoons renvoient: bien que leur facture semble relever d’une sorte d’artisanat, ils conservent un certain mystère.
Là encore, l’évidence d’une fonction fait défaut à un objet pourtant relativement familier. Sa fonction étant soustraite à l’objet qui est au centre de la série Cast of Pillow (2013-2015 pour les pièces présentées), nous nous trouvons face à une absurdité belle dans sa déraison. Dans ces images, parfois en noir et blanc, parfois toutes de couleurs revêtues, des bras enlacent, étreignent, des mains caressent et pressent des oreillers et des draps de plâtre moulé ou de mousse polyuréthane expansée.
Le photographe Delfino Sisto Legnani a saisi la sensuelle solitude de ces mouvements presque involontaires à la douceur rendue caduque par la transposition de la volupté creuse de la matière en une rudesse froide.
Les dernières variations de Potsherds & Gaze — dans lesquelles Andrea Romano tente de reproduire, de mémoire, certains aspects de ses expositions précédentes — reprennent cette fois les motifs d’une série de dessins au feutre présentée lors de sa première exposition chez Gaudel de Stampa et tracent désormais dans l’espace les relations entre les hommes et les dinosaures qu’il s’était attaché à étudier dans Untitled (The Flintstones). Dans le même temps, elles prennent en charge la mise en lumière de l’exposition, ajoutant ainsi une énième strate au doorkijkje qu’Andrea Romano réactualise ici en trois dimensions.