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Dominique Gonzalez-Foerster. Films

Arrêt sur images sur les films de Dominique Gonzales-Foerster. Des notes pour éclairer chaque projet : extraits d’articles ou de livres analysant ces expériences filmiques, textes rapportés des dialogues. Des images enchaînées pour dire l’importance de la contemplation.

— Éditeur : Les Presses du réel, Dijon
— Année : 2003
— Format : 24 x 17,50 cm
— Illustrations : nombreuses, en couleurs et en noir et blanc
— Pages : 127
— Langue : français
— ISBN : 2-84066-074-1
— Prix : 24 €

Le cinéma n’est pas une zone sûre
par Jean-Pierre Rehm

Posons, hypothèse simpliste, ceci : le cinéma tient une place de première importance dans le travail de Dominique Gonzalez-Foerster. Précisons aussitôt: il ne s’agit pas du nombre de films qu’elle a tournés, ni de la régularité manifeste de leur occurrence, car ceux-ci ne circonscrivent pas, et de loin, une pratique unique. Corrigeons encore, pour couper court à tout malentendu : le cinéma, pour elle comme pour nombre d’artistes de sa génération [Ils jouissent désormais d’une renommée suffisante pour faire l’épargne d’une liste exhaustive. Mentionnons néanmoins ses camarades de la première heure Philippe Parreno et Pierre Huyghe. Et puis, parmi les plus significatifs, : Stan Douglas, Douglas Gordon, Mark Lewis, etc.] figure moins un registre artistique identifié qu’il permet de jouer de l’effet d’une puissante attraction. Double aimantation qui agite l’art et lui révèle la possibilité renouvelée d’une force qui se présente à la fois au-dehors et en dedans. Un dehors ? Son efficacité mythique allie : machine narrative, longtemps interdite de séjour par les diktats modernistes ; indignité magnifique de ses fables : leur beauté, s’exceptant des règles austères d’une authentique littérature, tient du même coup autant à la simplicité d’une magie élémentaire et enfantine qu’à leur potentiel interprétatif infini ; spécificité industrielle de l’« usine à rêves », ses intrications impures avec le monde, écroulement de la tour d’ivoire de l’auteur; etc. Un dedans ? Celui-là, commun à « l’art » et au cinéma tombe sous le sens, c’est la besogne des images et des sons, l’artisanat évident de fabricants d’univers.

Entre ces deux faces se profile néanmoins une ligne de partage. Mais cette frontière n’est pas fixe, et chacun choisira de rentabiliser tel ou tel de ses reliefs. L’aventure d’Annlee par exemple, ce personnage acheté à une banque de rôles de dessins animes japonaise, dont l’usage est partagé tour à tour par un collectif d’artistes (Pierre Huyghe, Philippe Parreno, François Curlet, etc.), en est l’illustration flagrante. L’impersonnalité de cette hér6ine, sa malléabilité scénaristique, son indifférence constitutive, revêtent l’immense mérite, à la manière du postulat d’un artiste comme Buren, aussi incongru que paraisse le rapprochement, de révéler la situation spécifique à chacune de ses apparitions, de signaler le contexte comme griffe préalable à tout commentaire, libre de toute particularité de figure qui l’assignerait à un rôle prédéterminé. Chance inouï;e, on le comprend, de reléguer tous les effets de signature au rang de séquelles hasardeuses davantage que de mythiques causes premières. Ainsi Annlee et les péripéties qu’elle a charge de faire porter à la fragilité de ses traits, répondent-elles exactement au programme décrit par Giorgio Agamben sous le nom d’« être quelconque » : « Il ne s’agit ni d’apathie ni de promiscuité ou de résignation. Ces singularités pures ne communiquent que dans l’espace vide de l’exemple, sans être rattachées à aucune propriété commune, à aucune identité. Elles se sont expropriées de toute identité, pour s’approprier l’appartenance même, le signe E. Tricksters ou fainéants, aides ou toons, ils sont le modèle de la communauté qui vient. » [Giorgio Agamben, La Communauté qui vient, Paris : Seuil, 1990, p. 17]

Dans ces conditions, le cinéma, grand pourvoyeur de telles exemplarités quelconques, n’entretient, on le vérifie, plus aucune ressemblance avec cet ogre hypnotique, ce champion de la colonisation des imaginaires, cet instrument privilégié du « spectacl » aliénant que certains bien-pensants souhaitent lui accoler. À l’inverse, il exprime une autre hypothèse, celle d’une dépossession joyeuse, d’une plasticité des apparences qui font de lui un jouet assez pauvre. Transformé en réserve de postures plus piteuses que pieuses ou véritablement efficaces — nos images : notre monde, le cinéma est l’occasion, pompeuse mais défaite, de « nous » les rendre enfin.

C’est pourquoi, pour Dominique Gonzalez-Foerster, et de manière cohérente sinon systématique, la forme de cette frontière entre art et cinéma, entre le dehors et le dedans que représente le cinéma pour l’art, emprunte une voie rudimentaire : la lumière. Cette lumière apparaît à la fois en tant que source primitive de l’image, sa condition de possibilité mise à nu, et comme la résultante de l’éblouissement qu’elle y opère, brûlant la surface d’impression qu’elle révèle.

(Texte publié avec l’aimable autorisation des éditions Les Presses du réel)

L’artiste
Dominique Gonzalez-Foerster est née en 1965 à Strasbourg.

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