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Dominations

L’ouvrage nous offre le résultat de trois années d’écriture et de peinture. Une rencontre entre l’auteur Denis Robert et le peintre Philippe Pasquet autour de la problématique de la domination du monde. Un assemblage de toiles et de textes qui a pour caractéristique d’affronter les questions du monde.

Information

Présentation
Denis Robert, Philippe Pasquet
Dominations

Écrire la domination du monde m’a pris environ trois années. J’étais parti sur l’idée d’un personnage unique et schizophrène qui confondait fiction et réalité. Je savais moi où se cachait la fiction et où se nichait la réalité. Je faisais la différence entre le «je» fictif et le «je» réel. Leurs voix étaient légèrement différentes. La première version du manuscrit était assez hermétique, mais j’avais l’impression de quelque chose d’abouti. J’y avais mis ce que j’avais à y mettre. Tout. Bernard Barrault, mon éditeur, me laissait avancer. Ses seules remarques concernaient le lecteur. Il m’attaquait par la face nord:
– C’est pas un peu compliqué là?
– Mets toi à la place d’un lecteur…
– Si le lecteur te lâche, tu ne le rattraperas plus

Un jour, je me suis trouvé ridicule avec ce personnage compliqué qui disait le même je de deux façons différentes. À aucun moment, je n’avais pensé au lecteur, je n’avais pensé qu’à aller au bout de cette intuition qui n’était pas la bonne. Pourtant sans elle, je ne serais jamais parvenu à finir ce roman.

C’est comme en peinture. Vous démarrez une toile par un croquis, une silhouette, une tâche puis vous couvrez le tout par un aplat. Puis un autre. Personne sauf vous ne connaîtra ces aspérités. C’est ce qui fait l’épaisseur d’une toile. C’est indicible. La personne qui regarde ne le voit pas, il le sent.

Le titre m’est venu en même temps que l’idée de faire deux personnages bien différents. Mon projet a changé d’intitulés: de «Codex», il est devenu «Supernova» puis «Shark». L’horizon s’est éclairci quand j’ai trouvé la domination du monde. Il était évident que c’était le meilleur titre possible. Celui qui me poussait à aller vers le haut. Il n’était question que de cela. Qui nous domine? Pourquoi l’accepte-t-on? J’avais des embryons de réponses. La question principale, celle qui me paralysait au point de m’empêcher d’avancer, était encore plus simple et pratique : à quoi doit servir un écrivain aujourd’hui? Un écrivain ballotté entre réel et fiction ne doit servir à rien. Je sais. Un peintre non plus. Mais essayons d’aller un peu plus loin. Si l’on ne devait trouver qu’une seule utilité, laquelle? Alors…

Selon moi, si un écrivain doit servir à quelque chose aujourd’hui, ce doit être à écrire la domination du monde.

Et un peintre?

Un peintre doit faire les mêmes tableaux que ceux de Philippe Pasquet. Entre ce que j’écris et ce qu’il peint (j’ai du mal à dire ce que nous peignons), il y a comme une évidence. On est sur le même terrain. On se cogne au même réel et aux mêmes questions.

Ses toiles ont pour principale caractéristique d’affronter en combat à mains nues les questions du monde. Comment le peindre ? Qu’est ce que peindre aujourd’hui ? Comment rendre compte des questions de l’époque, la guerre, l’argent, le pouvoir, la manipulation, l’esclavage, la pauvreté, la solitude, la compromission, l’engagement sans faire de l’illustration (pour lui), ou du journalisme (pour moi).

Pendant ces trois années d’écriture, nous nous sommes beaucoup vus. Il venait à mon atelier. J’allais à son bureau. À moins que ce ne soit l’inverse. Je m’asseyais sur ses chaises inconfortables en sirotant de la mirabelle chaude. Il se vautrait dans ma moleskine en liquidant mon bourbon glacé. Je lui parlais d’une image qui me hantait. Je griffonnais quelques lignes. Il s’y mettait souvent seul après que je sois parti. Parfois, je posais une petite griffe quelque part. Parfois rien.

Ces tableaux parlent de la même chose que mon livre. Comment résister ? Cela tient de l’intuition et du regard porté par lui et par moi sur le monde qui nous entoure. Tout cela rend compte de sa violence, d’une rage, d’une impuissance. En même temps que d’une puissance.

Ce n’est sans doute pas un hasard, si dans mon roman une des scènes finales se passe dans une galerie de peinture. Je voulais rendre compte de cette émotion qui soudain peut vous submerger.

Je suis très heureux que ces tableaux «sortent» en même temps que mon livre. Du Paradoxe du Saint au Maître de cérémonie, de L’ Enchanteur au Légionnaire, en passant par Shark Company, La Source ou bien la série des Peintures Zapping, ces tableaux sont autant d’images qui disent le combat d’un homme seul, mi peintre, mi écrivain face à un monde qui cherche toujours à le dominer.

La littérature, comme la peinture, peuvent nous faire brutalement entrer dans une autre dimension. Les toiles comme les livres peuvent devenir des fenêtres et des barrages. Les fenêtres nous ouvrent sur un nouveau monde, nouveau repère, nouvelle représentation. Les barrages aident à lutter contre la houle des idées reçues et des images convenues du médiaworld. On peut s’y réfugier à plusieurs, s’y reconnaître.

Ne pas se prendre trop au sérieux, sourire et savoir cogner quand la situation l’exige. Ces toiles sont des coups de poings. Elles sont réelles. Car le réel, c’est quand on se cogne.

Denis Robert est journaliste d’investigation et écrivain. Il est l’auteur, notamment, de Révélation$ (2001), et a publié cette année un roman, La Domination du monde. Il a également participé à la réalisation de documentaires, dont Journal intime des affaires en cours (1998) et L’Affaire Clearstream racontée à un ouvrier de chez Daewoo (2003).

Philippe Pasquet est peintre, il vit et travail à Montigny-les-Metz.

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