Le Domaine départemental de Chamarande accueille une exposition intitulée «Domaine en œuvres». Elle réunit une quinzaine d’artistes qui ont chacun conçu leur intervention dans un souci d’intégration de leur travail au lieu sur un mode plastique ou plus conceptuel. Ils ont investi les salles du rez-de-chaussée du château, la chapelle, l’ancienne glacière, le pavillon du Belvédère, la serre et le parc paysager de telle façon que le promeneur en visitant l’exposition découvre le domaine sous ses multiples facettes historiques, esthétiques, topographiques, etc. Les formes d’inscription sont diverses : vidéos, photographies, installations, dessin, peinture, sculpture.
Comme l’indique le titre, l’exposition soulève la question du rapport de l’œuvre au lieu. Elle se pose ici de façon d’autant plus cruciale que le domaine, qui date globalement du XVIIe siècle, défend lui-même des options esthétiques marquées propres à son temps et que les œuvres qu’il accueille sont d’aujourd’hui et résolument «contemporaines». Le problème de l’inscription de l’œuvre dans le lieu se pose alors :
— sous l’angle de la compatibilité des espaces (espace de l’œuvre/espace d’exposition),
— sous l’angle d’une mise en écart de deux temps, deux époques (hier et aujourd’hui), conciliés sous l’angle d’une mise en regard de points de vue (ceux qu’incarnent le lieu et ceux des artistes).
Sur une quinzaine d’œuvres à découvrir dans le site, le visiteur appréciera ces mises en rapport souvent subtiles sous couvert de contrastes fortement appuyés parfois ou bien, au contraire, délicatement nuancés. A cet égard citons quatre œuvres marquantes illustrant au moins quatre options possibles.
L’installation Sans titre de Richard Fauguet transforme la salle à manger Boucicault du château en un véritable cabinet de curiosités. Sous des vitrines à l’instar d’objets rares et précieux, fixé au plafond telle une suspension baroque digne d’un palais vénitien, se substituant ironiquement au trophée de chasse fixé au manteau d’une cheminée ou disposé sur une table, son travail envahit l’espace de la pièce tout en transgressant ses diverses fonctions domestiques. Assemblage de carafes de cantine, de bols en pyrex, de verres à pied et autres ustensiles de vaisselle en verre blanc, ses objets sculptés parfois recouverts «d’épines» de silicones seraient dignes d’un Bernard Palissy reconverti en artisan verrier. Mais installée de la sorte, cette prolifique production à la fois délirante et précieuse devient, dans ce lieu singulier, l’étonnante collection d’un amateur fou autant qu’averti.
Dans un esprit qui n’est pas si éloigné des objets détournés de Richard Fauguet, Philippe Ramette s’empare, quant à lui, du salon Persigny, pour y exposer, sous la forme de constats photographiques ou d’objets fabriqués, ses inventions «drôles et innovantes» qui mériteraient que le concours Lépine ouvre pour elles seules une catégorie «objets poétiques». Que ce soit pour le Fauteuil à coup de foudre , le Canon à parole ou le Socle à réflexion, on imagine sans difficultés l’utilisation raffinée de ces trouvailles dans le cadre adapté du domaine. Et l’on se prend à rêver d’un coup de foudre sous un des magnifiques cyprès chauves du parc et de l’écho porté d’une voix qui atteindrait sans mal le pavillon du Belvédère.
Delphine Coindet a choisi d’installer ses Campements dans le parc en sous bois et sans ménagement. Six panneaux doubles et articulés, disposés au sol façon «canadiennes», servent de support à de belles photographies paysagères. Les grands stéréotypes du paysage mondial y sont représentés sauf peut-être le parc paysagé à l’anglaise qui sert de cadre environnemental à l’installation (à l’origine sans doute était-il «à la française» si l’on en juge par les grandes allées percées). S’opère alors insidieusement une contagion de l’image au réel amenant le promeneur à s’interroger peut-être sur la nature elle-même stéréotypée et artificielle du charme opéré sur lui par ce somptueux décor «naturel».
Enfin au détour de l’orangerie, le promeneur découvrira l’ancienne serre qu’il percevra peut-être comme le lieu tout indiqué de l’invention du paysage et donc de la fabrication du parc. Elle est habitée pour l’occasion par une œuvre spécialement conçue, de Jean-Luc Bichaud. La nature supposée Végétale et naturelle (comme le dit le titre de l’installation) du matériau employé renvoie certes au domaine botanique dont la serre est devenue l’emblème. Mais elle renvoie également à l’origine réfutée puisque synthétique, des mille éponges imbibées et suintantes, suspendues à la structure octogonale du dôme de l’ancienne verrière fragilisée par les intempéries. Le lieu tombe en décrépitude et la folle ingénierie spongieuse autant qu’ingénieuse imaginée par l’artiste tente une dernière maintenance avant l’effondrement, prolonge de quelques instants d’une survie artificielle, le faste fascinant du site. Au son du goutte à goutte désynchronisé généré par le détournement d’un système d’arrosage de jardin et à la vue des seaux débordants placés à la base des guirlandes d’éponges, verticales et bariolées, le spectateur prend nettement conscience de l’irrévocable effet du temps sur les rêves et les ambitions les plus nobles dont ces lieux ont été le théâtre.
Cette dernière œuvre (ainsi que les autres qu’elles soient commentées ou non dans ces lignes) fait la démonstration si besoin était que le domaine de Chamarande pouvait compter sur la justesse et la diversité éloquente des regards singuliers de quelques artistes contemporains sélectionnés pour le lieu quand il s’agissait effectivement qu’ils concilient chacun leurs pratiques avec son exceptionnel caractère.
Quinze œuvres à découvrir dans le site :
Jean-Luc Bichaud
— Végétale et naturelle, 2002. Eponges, systèmes d’arrosage automatique sur câbles d’acier, seaux en plastiques. Dimensions variables.
Bruno Peinado
— Good Stuff, 2001-2002. Bois contreplaqué, peinture. Dimensions variables.
Gloria Friedmann
— Garden Party, 2001. Métal peint, photographies, fleurs artificielles et naturelles. 600 x 200 x 250 cm.
— Tic-Tac, Tic-Tac…, 2002. Bois peint, photographies et réveils. 400 x 205 x 100 cm.
Raymonde April
— Journée de Chutes, 1990. Epreuve couleur contrecollée sur aluminium. 153 x 225 cm.
Art Orienté objet
— Sommet, 2002. Métal peint. 440 cm de diamètre.
— Bad Trip, 1996. Moulages de corps en plâtre, prothèses oculaires, chariots d’hôpital et lumière noire. 120 x 200 x 250 cm.
Dominique Angel
— Pièces supplémentaires, 1998. Photo. 160 x 120 cm.
— Pièces supplémentaires, 2002. Sculpture de plâtre peint. 280 cm.
— Pièces supplémentaires, 2002. Matériaux divers. 200 x 80 x 80 cm.
— Pièces supplémentaires, 2002. Matériaux divers. 200 x 80 x 80 cm.
— Pièces supplémentaires, 2002. Matériaux divers. 200 x 80 x 80 cm.
Delphine Coindet
— Sans titre, 2001. Moulages en plâtre peint. Diamètre 50 cm, hauteur 160 cm.
— Sans titre, 2001. Moulages en plâtre peint. Diamètre 50 cm, hauteur 160 cm.
— Campement, 2001. Impressions numériques sur panneaux en komadur. 210 x 160 x 3,8 cm chaque panneau.
François-Xavier Courrèges
— Rebirth, 2002. Vidéo.
Richard Fauguet
— Sans titre, 2001-2002. Vaisselle en Pyrex et silicone. Dimensions variables.
Alain Kirili et Amahiguere Dolo
— Sans titre, 2001. Bois et fers forgés.
Didier Trenet
— Encore un effort, 2002. Sculpture et dessins. Tissu, bois, papier. Dimensions variables.
Philippe Ramette
— Sans titre (Eloge de la paresse II), 2001. Photo couleur. 150 x 120 cm.
— Fauteuil à coup de foudre, 2001. Photo couleur. 150 x 117 cm.
— Socles à réflexion, 1989-2002. Photo couleur. 150 x 120 cm.
— Canon à Paroles, 2001. Photo couleur. 150 x 110 cm.
— Fauteuil à coup de foudre, 2001. Bois et métal. 180 x 126 x 48 cm.
— Poignées d’amour, 1997. Mannequins, cuir.
Françoise Vergier
— Le paysage, le foyer, le giron et le champs, 2002. Matériaux divers : terres cuites émaillées, grès, verre soufflé, bronze, perles. Dimensions variables.