Armand Jalut
Doigts, cannelés, chaton
Pour sa deuxième exposition personnelle à la Galerie Michel Rein, Armand Jalut présente un ensemble de peintures et dessins récents.
Les oeuvres rassemblées ici peuvent surprendre et c’est tant mieux, car il ne déplaît pas à l’artiste qui les a réalisées de déstabiliser le spectateur. S’il y a chez ce jeune peintre un côté « déraisonnable » qui le conduit à peindre des lapins, des poules, des Smarties et des assiettes de fish & chips, il parvient toutefois à faire jaillir de ces sujets délibérément monotones ou triviaux, une certaine singularité. Au moment où l’on découvre le sujet, se déclenche une opération, finement dirigée par l’artiste, qui consiste à brouiller les pistes.
« Le dindon » (2008) est caractéristique d’une situation qu’Armand Jalut recrée continuellement: cependant que nous voyons le derrière d’un dindon en gros plan, nous sommes très vite confrontés à une perturbation de la forme par le traitement. La figure perd de sa solidité et nous entraîne dans un pur chaos pictural.
L’illusion de profondeur ne tient pas. Les traits distinctifs entre les plumes soyeuses de l’animal, qui forment une écume colorée, et la végétation environnante s’estompent, se confondent. L’indéniable beauté de ce tableau est contrebalancée par un léger bruit sourd qui contamine l’atmosphère et la fait grincer à nos yeux. C’est à se demander si c’est le sujet qui perturbe la virtuosité de l’exécution ou si ce n’est pas plutôt cette technique fortement typée qui empêche de se réjouir du caractère comique et grotesque d’une peinture de cul de dindon.
Les poules d’Armand Jalut présentent les mêmes symptômes. Leurs contours indistincts les apparentent aux nuages dont la forme suggère parfois un animal. « La Poule nº2 » (2008) évoque tour à tour une coiffe de plumes d’autruche, un feu d’artifice ou encore un paysage parsemé d’étincelles, de flammes et de fumée.
À l’atmosphère doucereuse et niaise d’une carte postale de chaton reproduite en grand format (« Le chaton », 2008), l’artiste introduit du désordre. Les poils sont beaucoup plus étirés que sur le modèle original, les couleurs sont plus ternes et le petit animal finit par ressembler à une peluche pas très propre et un rien monstrueuse ; un chaton-Gremlin en quelque sorte.
Régulièrement, Armand Jalut présente ses tableaux sous forme de polyptiques. « Canapé, Bûche glacée » (2008) réunit cinq peintures a priori très différentes. L’organisation de ces images tend à faire surgir tout un jeu de liens secrets et mystérieux, de correspondances et d’analogies. Armand Jalut partage ainsi avec les personnages des romans de Witold Gombrowicz le plaisir enfantin et la concentration excessive qui sont mis en oeuvre pour interpréter le moindre signe ou encore comprendre la distance qui sépare deux objets.
Une cabane isolée dans les bois, un boa de plumes qui glisse autour du cou d’une jeune femme, une bouche ouverte pleine d’aliments, l’accoudoir éventré d’un canapé, des bûches glacées Picard qui s’agitent et tremblent. Tout cela a des allures de fête consommée en silence, de célébration insignifiante et sans partage.
Une agitation semblable à celle des bûches glacées existe dans les dessins au fusain de pâtisseries. Les cannelés trembleurs donnent l’impression d’être contaminés par un étrange virus et sur le point de se dématérialiser.
Avec Armand Jalut, une assiette de fish & chips prend des allures de paysage fantastique. Ses doigts, qu’il peint souvent en train de fourrager dans de la nourriture, ressemblent aux énormes vers menaçants du film « Dune », réalisé par David Lynch.
Hallucinations étranges, déformation de la réalité, intimité secrète avec l’informe, mythologie personnelle, c’est de là que naissent les formes chez Jalut, de la dégradation.
critique
Doigts, cannelés, chaton