Mohamed Ben Slama, Laura Bottereau et Marine Fiquet, Eric Corne, Damien Deroubaix, Vanessa Fanuele, Myriam Mechita, Françoise Pétrovitch, Skall, Adrien Vermont, Jean-Luc Verna, Gretel Weyer
Dogs from hell
Entre toutes les choses qui peuvent être contemplées sous la concavité des cieux, il ne se voit rien qui éveille plus l’esprit humain, qui ravisse plus les sens, qui épouvante plus, qui provoque chez les créatures une admiration ou une terreur plus grande que les monstres, les prodiges et les abominations par lesquelles nous voyons les œuvres de la nature renversées, mutilées et tronquées. (Pierre Boaistuau, Histoires prodigieuses, 1566).
En 1946, au Mexique, Frida Kahlo peint El Venado Herido (Le petit cerf blessé). Une huile sur bois dont le format resserré (22 x 30 cm) rappelle celui des retablos, les peintures sur plaques de métal ou sur bois conçues comme des prières ou des offrandes. El Venado Herido est un autoportrait. L’artiste remplace le visage du cerf par son propre visage, qui se fait masque. Le corps mutant est en fuite, il est criblé de flèches. Humain et animal cohabitent en un même corps. Pour traduire ses émotions et donner des images à sa souffrance, Frida Kahlo puise ses références non seulement dans sa propre histoire, mais aussi dans l’iconographie catholique, l’art précolombien et la philosophie bouddhiste.
Au creux de la peinture de Frida Kahlo s’étirent plusieurs terrains de réflexion: l’hybridation (corporelle et culturelle), la création du monstre qui alimente les dimensions métaphoriques, psychologiques et spirituelles de la scène. Au cœur des mythologies issues des différentes civilisations, les hommes et les femmes se transforment, ils prennent une forme animale pour incarner un sentiment, une valeur, une légende.
Par la métamorphose et l’hybridation, la figure humaine prend une peau animale, ou inversement. En ce sens, elle revêt une apparence monstrueuse: ce que nous n’identifions pas, ce en quoi nous ne reconnaissons pas, ce qui nous échappe.
Parce qu’il est une des facettes de la représentation du monstre, l’animal révèle nos peurs et notre impuissance. «Les institutions gèrent le corps et définissent ce qui est normal et pathologique. Elles élaborent au sein de la doxa les valeurs de l’admis et du rejet, du normal et de l’anormalité corporelle, du beau ou du laid, du monstrueux ou du conforme.» (Aurélie Martinez, Steven Bernas, Images du corps monstrueux, Paris: L’Harmattan, 2011, p.9)
La symbolique de la figure animale traverse l’histoire de l’art, des parois des cavernes jusqu’aux sculptures de Damien Hirst, en passant par les peintures de Rubens, les dessins de Kiki Smith ou les photographies de Paola Pivi.
La peinture de Frida Kahlo représente le point de départ d’une réflexion sur la relation complexe qui lie l’humain et l’animal. Quelle est notre part animale? «Dogs from hell» envisage la figure animale de différents points de vue mythologique, métaphorique, politique, physique et spirituel. Elle engendre des peurs, des fantasmes, des troubles ou encore des visions. Le XXIème siècle entretient une relation distancée avec l’animal, cet être étranger, qui est le plus souvent compris comme une proie, un danger ou une source alimentaire.
A travers les œuvres des douze artistes invités, l’exposition nourrit différentes problématiques où la figure animale est centrale: l’enfance et le conte (Laura Bottereau et Marine Fiquet, Françoise Pétrovitch, Gretel Weyer), le monstre et ses mythes (Eric Corne, Myriam Mechita, Jean-Luc Verna, Vanessa Fanuele, Skall) et la dimension politique de la figure animale (Damien Deroubaix, Mohamed Ben Slama, Adrien Vermont). Par la personnification, la mutation et la mise en écho d’imaginaires, les artistes s’emparent des mythes fondateurs, de l’Histoire, du corps, du monstre, de l’autre et de soi.
Commissaire : Julie Crenn