Stéphane Sautour
Do you not hear the sea?
Stéphane Sautour a collaboré avec Alexandre Schubnel, un géophysicien qui travaille sur la micro-sismicité, sur les frictions rocheuses, sur l’élasticité de la matière. Tous deux se retrouvent sur une ligne de faille: celle que, physiquement autant que symboliquement, a ouverte la catastrophe japonaise de 2011. C’est cette ligne de faille qui constitue le point de départ de l’exploration dans les formes à laquelle se prête Stéphane Sautour.
Des motifs apparaissent, figurines morcelées, têtes, bottes, torses, des mains — des avant-bras plutôt —, qui s’affichent pleins d’une matière qui «continue à faire des manières», ajoute-t-il.
«Le temps de la matière n’est pas le mien», explique Stéphane Sautour. Il ne le devient que sous certaines conditions (le tremblement de terre faisant précisément coïncider temps géologique et temps humain) qui débordent toujours, en tout cas, le moment de l’exposition d’art. Cette constatation oblige à une déprise: il va falloir apprendre à observer méticuleusement, à être patient, à potentiellement ne rien voir.
Observer méticuleusement, être patient ne sont pas à prendre comme des contraintes mais comme des invitations à différer le moment du jugement ou même de l’analyse, et à se placer dans le temps des transformations lentes. C’est le milieu, ou l’environnement, qui est ici le support des métamorphoses et des déformations. L’un au contact de l’autre (l’argile au contact de l’air, au contact de l’argent) y risque une partie de son être.
Frottements. Altérations. Décalages. La matière, parce que vibrante, selon l’expression de Jane Bennett, appelle à saisir «le moment d’indépendance (de la subjectivité) que possèdent les choses, un moment qui doit exister parce que les choses affectent bel et bien les autres corps, augmentant ou diminuant leur pouvoir» (Jane Bennett, Vibrant Matter. A Political Ecology of Things, Durham et Londres, Duke University Press, 2010, p.3). On entre donc dans la danse.
On entre dans la danse parce que la matière ne fait pas ici l’objet d’un traitement, encore moins d’un traitement générique: elle est toujours tenue dans son occurrence singulière, elle est un événement, et en cela elle devient le lieu d’une attention que l’on doit trouver les moyens de soutenir, d’un soin particulier.
Dans L’Appât des possibles, le philosophe Didier Debaise, commentant l’œuvre d’Alfred North Whitehead et prolongeant son geste, écrit: «Notre expérience contemporaine ne nous force-t-elle pas à […] nous intéresser à la multiplicité des centres d’expérience, des manières d’être, des relations multiples que les existants ont les uns avec les autres, et qui composent une nature devenue essentiellement plurielle?» (Didier Debaise, L’Appât des possibles. Reprise de Whitehead, Paris, Les Presses du réel, 2015, p.69-70). Composer une nature faite de «vies personnelles», ainsi que l’exprimait William James…