Un jeu subtil organise l’espace des toiles de Djamel Tatah. Ses compositions sont les déclinaisons d’un thème, d’un sujet. Sa peinture est un jeu de piste, un jeu de signes. A l’aide d’un vocabulaire et d’une grammaire formels réduits, il parvient à travailler encore et encore son ouvrage. Il multiplie les vis-à -vis et les effets miroir. Les diptyques lui servent de chambre de résonance pour nous présenter un personnage qui est son propre écho, son propre reflet. Les personnages se font face comme à travers un miroir. Ces tableaux jumeaux, ces tableaux entre positifs et négatifs prennent plaisir à jouer avec l’espace de la toile, mais ils cherchent surtout à flirter avec la bordure du cadre. L’espace est ici déplacé, il est repoussé, il devient hors limite, inframince.
Si les tableaux sont une déclinaison, voire une gémellité, ils ont toujours comme enjeu la place du personnage. Qu’il soit placé au centre, allongé au sol, ou entassé en cercle (voir le triptyque bleu), le sujet a tendance à sortir du châssis. Sans parler de malaise, le personnage, même s’il est placé et cadré, semble hors cadre, hors champ, hors de lui. Dans la neutralité du monochrome qui l’habille, il y a toujours un vague à l’âme qui pointe, une indécision, une indétermination. Malgré sa présence, malgré la place centrale et unique qu’il occupe, le sujet semble plus esquissé que peint. De légers rehauts orangés viennent lécher ses membres. D’une masse indistincte, ramassée, seul le tracé orangé vient dessiner les bras et les jambes. Tel un mannequin de cire, il est placé en exergue, à la marge de la toile.
La déclinaison, et l’indétermination des personnages produisent calme et sérénité. L’économie des moyens picturaux, l’absence de virtuosité, produit des tableaux précieux et rares. Débarrassé de tout artifice la contemplation nécessite une attention soutenue, presque un recueillement. Immédiatement visualisable les compositions ne se laissent pourtant pas appréhender avec la même rapidité. Entre répétition et déclinaison le spectateur peut se laisser abuser. Il faut alors revenir sur ses pas pour juger chaque travail. La simplicité du tracé, comme l’emploi du monochrome, font émerger une peinture sans fioriture, une peinture allégée de toute anecdote mais qui ne renonce pas à la profondeur.
A travers la planéité des grands formats (en général autour de deux, trois mètres carré), par l’emploi d’une palette limitée (les fonds sont orange, rouge, bleu ou vert), par la présence d’un même personnage (qui peut-être féminin ou masculin suivant ses cheveux longs ou courts), une atmosphère neutre, indifférente se dégage de l’ensemble. Djamel Tatah expose depuis dix ans, il y a chez lui la volonté d’un travail très personnel et intemporel, autant qu’il y a un air du temps qui se dégage.
En peinture on pense à Hockney avec cette recherche épurée et géométrique. Mais s’est surtout la littérature qui offre la liaison la plus contemporaine. Que ce soit Ellis ou Houëllebec en France, une écriture clinique parcourt autant cette littérature de l’indifférence que cette peinture du tracé qui divulgue autant qu’elle dissimule. Tout donner mais tout mesurer. Il se dégage alors un manque, un inachèvement. Il est difficile d’appréhender ces personnages. Un sentiment d’incomplétude apparaît non dans l’exécution mais dans la réception et la compréhension. Les corps se confondent autant dans la pose que dans le châssis. Le dessin se transforme en peinture, le personnage se résume à une tonalité. Face à ces mannequins, à ces clones, la précision se conjugue avec l’élégance et le suggéré.
19 tableaux sans titre, de 1999 Ã 2001. Huile et cire sur toile. Dimensions variables.